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cours de l'année dernière n°4

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Message  Nathalie Dim 28 Fév - 11:46

Université d’Angers
UFR Lettres et sciences humaines
L3 Histoire (2008-2009) – Semestre 6

UE 61 – Histoire du Moyen Âge



PARTIE II: « GENÈSE DES ÉTATS MODERNES »


CHAPITRE II. A: DOCTRINES, SYMBOLES, REPRÉSENTATIONS



1) Les idées politiques


Tout au long du Moyen Âge, des penseurs (théologiens, juristes…) ont débattu pour définir le pouvoir politique et l’État, leur finalité, leurs attributions. Dans l’élaboration progressive de cette pensée, deux étapes se distinguent assez nettement:
- Jusqu’au début du XIVe siècle, la réflexion tourne essentiellement autour des rapports entre le pouvoir civil et l’autorité religieuse; les nombreux conflits entre la papauté et différents États (notamment l’Empire) donnent l’occasion de poser le problème de manière concrète.
- À partir du début du XIVe siècle, une nouvelle problématique s’attache au pouvoir laïque en tant que tel; les titres de certains traités témoignent de ce nouvel état d’esprit: si des textes s’intitulaient auparavant De potestate (=pouvoir) ou De regimine (=gouvernement), on trouve désormais le Rex pacificus (1302, anonyme) ou le Defensor pacis (1324, Marsile de Padoue) dont les titres mettent en valeur le rôle de l’État en matière d’ordre public, de paix et d’harmonie dans la société.

Le XIVe siècle est donc une étape capitale dans la réflexion sur le pouvoir politique et, tout simplement, dans la naissance de la science politique (appelée “science de policie” par les auteurs de l’époque). En un siècle, on passe de la suprématie de la théocratie – qui soumet les pouvoirs civils à la papauté - à l’affirmation de la toute-puissance de l’État.
Pourtant, rien ne serait plus faux que de parler d’une laïcisation de la pensée politique: pour la plupart, les auteurs sont issus du clergé; leur argumentation puise à pleines mains dans l’Écriture sainte et chez les théologiens; de plus, il subsiste une ambiguïté sur la mission de l’État qui est selon eux de faire régner l’ordre sur terre, mais un ordre chrétien voulu par Dieu – ce qui explique par exemple toutes les ordonnances royales édictées en France contre le blasphème (1268, 1294, 1330, 1348, 1397, 1438, 1442…). Plus simplement encore, cette idée ne peut avoir aucun fondement dans le cadre d’une monarchie où les rois, sacrés, le sont de droit divin
Il est en revanche évident que cette nouvelle tournure de la réflexion politique est le prolongement de la naissance des universités (TD leçon 2) à partir du XIIIe siècle. C’est là que ces penseurs se forment au droit et à la théologie, avant de devenir pour certains serviteurs des États de la fin du Moyen Âge.
Il faut donc suivre un cheminement chronologique afin de relever les étapes et les tournants dans cette naissance de la science politique.


1) 1. Les premières réactions anti-théocratiques

* La fin du XIIIe siècle est considérée comme l’apothéose de la théocratie, dont on considère habituellement qu’elle culmine en 1302 avec la bulle Unam sanctam de Boniface VIII promulguée à l’occasion du conflit de ce pape avec le roi de France Philippe IV le Bel (TD, texte 4).

Cette séance, programmée le 26 février ne pouvant avoir lieu, je vous conseille vivement, pour en trouver une analyse synthétique, de vous reporter à :
A.-M. HELVÉTIUS, J.-M. MATZ, Église et société au Moyen Âge (Ve-XVe siècle), Paris, 2008, p. 196-201 ; il s’agit d’un manuel destiné aux étudiants, qui se nourrit des recherches respectives des deux auteurs. Dans le contexte actuel, il permet de mesurer de manière précise – et non polémique - le lien entre enseignement et recherche dans le monde universitaire…

* Les papes se présentent comme « mandataires universels » puis comme « vicaires du Christ » sur terre, investis à ce titre de « la plénitude du pouvoir » et aptes, de ce fait, à juger ou déposer un souverain regardé comme défaillant ou insoumis puisqu’il leur est inférieur. Pourtant, dès la fin du XIIIe siècle, des voix discordantes commencent à se faire entendre. L’Italien Dante Alighieri (†1321), connu surtout pour sa Divine comédie (dans laquelle il place Boniface VIII en Enfer !), propose ainsi dans son De monarchia (vers 1311) une thèse dualiste :
C’est pourquoi l’homme a besoin d’une double direction suivant sa double fin : c’est-à-dire du souverain pontife qui, selon les vérités révélées conduirait le genre humain à la vie éternelle, et de l’empereur qui, selon les enseignements philosophiques [il faut relever la différence des fondements théoriques], le dirigerait vers la félicité temporelle.

* Au cours du conflit entre Philippe IV le Bel et Boniface VIII, des conseillers du roi rédigent des traités, en général courts et clairs, qui développent une théorie régaliste, c’est-à-dire la souveraineté de l’État en matière temporelle, forme nouvelle de la thèse dualiste. Parmi eux, Jean Quidort dit de Paris (†1306), un religieux dominicain, écrit en 1302 dans son traité De potestate regia et papali :
Les deux pouvoirs sont distincts de telle façon que l’un ne dépend pas de l’autre : de même que le spirituel vient immédiatement de Dieu, (…) de même le séculier, le pouvoir royal ne dépend du pape ni dans sa nature ni quant à son exécution, mais il dépend de Dieu et du peuple.

* Un nouveau pas est franchi avec le religieux franciscain anglais Guillaume d’Occam (ou Ockham, †1349), théologien formé à l’université d’Oxford. En 1324, il est appelé à la curie pontificale d’Avignon pour se justifier sur certaines thèses jugées hétérodoxes (il a par exemple prétendu que Dieu est inintelligible à la pensée philosophique car la raison ne produit que du probable). Il y rencontre Michel de Césène, chef de file des Franciscains dits « Spirituels », lui-même inquiété pour les thèses extrémistes qu’ils défendent en matière de pauvreté. En 1328, Occam et Césène se réfugient à Munich, à la cour de l’empereur Louis IV de Bavière (1314-1347), adversaire farouche de la papauté qui n’a pas voulu reconnaître son élection. C’est là que jusqu’à sa mort, Occam rédige de nombreux traités désormais consacrés à la politique. La pensée occamiste, qui est une réfutation totale de la théocratie, s’articule autour de trois arguments principaux :
- Sur la base de l’Écriture sainte, il rappelle au sujet du Christ que « bien qu’il fut le maître et le juge de tous en ayant la plénitude du pouvoir en toutes choses », il n’eut pas cette plénitude au temporel car il « dit lui-même que son royaume n’était pas de ce monde ».
- L’Église, d’origine divine, a reçu une mission exclusivement spirituelle : assurer le salut ; de ce fait, elle n’a pas de pouvoir, mais un service à accomplir.
- Les pouvoirs politiques ont été créés par Dieu afin de faire régner la paix et l’ordre ; il affirme donc l’antériorité historique de l’État par rapport à l’Église à laquelle il ne peut donc être soumis.

Le terrain est prêt pour dépasser le dualisme auquel Occam reste fidèle (il reconnaît par exemple une compétence exclusive à l’Église pour le ministère des âmes) et affirmer cette fois la toute-puissance de l’État, au temporel mais aussi au spirituel !


1) 2. La toute-puissance de l’État

* Marsile de Padoue (†1343) a étudié le droit et la médecine en Italie. En 1313, il devient recteur de l’université de Paris où il est venu parfaire sa formation. C’est là qu’en 1324, avec Jean de Jandun, il publie le Defensor pacis. Avant même son excommunication et la condamnation de plusieurs thèses de son traité comme hérétiques en 1327, il a trouvé refuge dès 1326 à la cour impériale de Louis IV de Bavière où Occam le rejoindra. Vingt ans après la bulle Unam sanctam, Marsile de Padoue réduit à néant la théocratie dans un véritable traité de science politique, ouvrage à la fois simple et argumenté. Sa pensée est construite ainsi :
- Pour assurer le « bien commun », la société se donne de son bon vouloir une organisation matérielle ; donc…
- Toute communauté est d’origine humaine, avec pour fins l’utilité et la paix ; donc…
- La communauté première, c’est l’État, seule communauté pleinement rationnelle, qui coordonne les groupes et les individus ; donc…
- Il ne peut y avoir ni théocratie ni dualisme, car l’Église n’a pas été constituée par Dieu, mais créée par l’histoire, comme les autres communautés ; il en propose d’ailleurs une définition nouvelle :
De toutes les définitions données du mot Église, la plus vraie et la plus propre de toutes est celle qui fait d’elle l’ensemble de ceux qui croient et qui invoquent le nom du Christ. De ce fait, selon cette définition, sont et doivent être dits ecclésiastiques tous les fidèles du Christ, tant les prêtres que ceux qui ne sont pas prêtres, puisque le Christ les a tous rachetés par son sang.
L’Église est donc l’ensemble des fidèles, répartis entre différents États ; par conséquent, cette société informelle ne prend corps qu’à l’intérieur de chaque État et grâce à lui, qui a seul la compétence de convoquer un concile.

Les thèses de Marsile de Padoue et de Guillaume d’Occam ne rencontrent pas immédiatement le succès. Ces idées novatrices choquent bon nombre de penseurs, d’autant que leur condamnation par la papauté freine leur diffusion. La doctrine dualiste continue à dominer les débats, et il va falloir un demi-siècle pour que la pensée nouvelle soit assimilée en France, mais d’après les manuscrits aujourd’hui conservés, l’Angleterre lui reste étrangère.

* Le règne de Charles V (1364-1380) – un roi « sage » (TD leçon 3) - représente une étape capitale de la maturation des idées politiques. Parmi les différentes commandes qu’il a passées se trouve le Songe du verger, considéré comme « le premier traité politique moderne », publié en latin en 1376, puis en français en 1378. L’auteur en est vraisemblablement Évrart de Tremaugon, un Breton, frère d’un capitaine de Du Guesclin, docteur dans les deux droits et enseignant à Paris, membre de l’Hôtel du roi, qui finit évêque de Dol (1382-1386). Les traits de l’œuvre sont :
- Une forme originale : jusqu’alors, les traités politiques ont adopté la structure complexe des travaux universitaires ; ici, la forme est empruntée à la littérature qui utilise souvent à la fin du Moyen Âge le rêve et l’inspiration onirique : Mon songe et la vision laquelle m’est apparue dans mon dorment, dit le prologue (§2).
- Un sujet, éminemment politique : dans un verger, un clerc et un chevalier disputent (au sens universitaire) de la question suivante :
C’est assavoir si la puissance espirituelle et la puissance séculière sont divisées et toutes séparées, ou si les deux puissances sont (…) en un même suppot en la personne de saint père de Rome (Prologue, §5).
La réponse apportée par le chevalier est simple :
Le chevalier respont que c’est vray que, en ce monde, a une seule seigneurie, laquelle est de Dieu, mais cette unité de seigneurie n’empêche pas que ils soient deux juridictions en ce monde (Livre I, chap. 46), la spirituelle et la temporelle.
Selon le Songe, les objectifs à atteindre sont inscrits dans le « droit naturel » qui contraint le souverain à une législation positive, idée reprise à Aristote et encore avancée par Jean Bodin au XVIe siècle. L’exercice de l’autorité sur tous les sujets n’est pas la tyrannie, car le fondement de ce « droit naturel » se confond avec la morale chrétienne et garantit la supériorité de l’intérêt général sur les intérêts personnels du roi ; le modèle est celui des rois de l’Ancien Testament (David, Josias…) qui ont gouverné selon les Commandements de Dieu. Le Songe ne résout donc pas l’ambiguïté d’un « bien commun » réduit aux valeurs du Christianisme. Malgré cette limite, le pas franchi depuis le début du siècle est très important.


1) 3. La pause du XVe siècle

* À partir de la fin du XIVe siècle, dans les milieux politiques et intellectuels, on s’intéresse nettement moins aux relations entre l’Église et l’État selon les anciennes données du problème. Le Grand Schisme d’Occident (1378-1417), qui marque la fin de l’idée d’une chrétienté unie, est pour beaucoup dans cette situation. Les théologiens – notamment Jean Gerson (†1429) - élaborent une thèse nouvelle, le conciliarisme, qui donne au concile la supériorité sur le pape. La crise de l’Église profite aux souverains qui peuvent s’immiscer sans difficulté dans la vie de l’Église de leurs États et accélèrent ainsi le processus de naissance des Églises nationales – qui donnent corps dans la pratique aux idées développées par Marsile de Padoue. De là sortira d’une certaine manière le Protestantisme qui nie toute domination séculière de l’Église et toute autorité de l’évêque de Rome sur l’Église.
Même chez les défenseurs de la papauté, les théologiens limitent les prétentions de Rome à exercer une domination dans le domaine temporel, comme le fait le cardinal dominicain espagnol Jean de Torquemada (†1468), oncle du célèbre inquisiteur.
* Les traités du XVe siècle, moins nombreux, continuent à mettre en avant que le roi doit surtout gouverner selon les règles morales du christianisme ; c’est le cas sous la plume de Jean Jouvenel des Ursins (†1473), issu d’une famille de membres du Parlement de Paris, successivement évêque de Beauvais et de Laon puis archevêque de Reims, ou de l’Anglais John Fortescue dans différents textes des années 1440-1470.

En conclusion, il faut noter que la véritable rupture avec les cadres de la pensée médiévale est le fait de Niccolo Machiavelli, dit Machiavel (†1527), membre de la chancellerie de Florence, auteur en 1513 d’un traité, Le Prince, dédié à Laurent le Magnifique, dans lequel il prescrit – non sans un certain cynisme – le pragmatisme comme art de gouverner (chap. 18) :
Il n’est pas nécessaire à un prince d’avoir toutes les bonnes qualités, mais il est indispensable de paraître les avoir ; j’oserai même dire qu’il est quelquefois dangereux d’en faire usage, quoiqu’il soit toujours utile de les posséder. Un prince doit s’efforcer de se faire une réputation de bonté, de clémence, de piété, de fidélité à ses engagements et de justice ; il doit avoir toutes ces bonnes qualités, mais rester assez maître de soi pour en déployer de contraires, lorsque cela est expédient. Je pose en fait qu’un prince, et surtout un prince nouveau, ne peut exercer impunément toutes les vertus, parce que l’intérêt de sa conservation l’oblige souvent à violer les lois de l’humanité, de la charité et de la religion. (…) En un mot, il lui est aussi utile de persévérer dans le bien lorsqu’il n’y trouve aucun inconvénient, que de savoir en dévier, lorsque les circonstances l’exigent.



2) Royauté et souveraineté



Les réflexions doctrinales connaissent donc une profonde mutation, principalement au cours du XIVe siècle, quant à la notion d’État. Présenté au départ comme soumis à la papauté, il devient autonome, il est conçu par certains comme quasiment indépendant et, chez les plus hardis, c’est l’idée d’une toute-puissance de l’État qui l’emporte.
Dans l’Occident des XIVe et XVe siècles, la figure habituelle de l’État est la royauté, c’est-à-dire la forme monarchique de l’exercice du pouvoir, caractéristique de l’ensemble de la période médiévale (et moderne). Toutefois, à partir du XIIIe siècle se développe l’idée de la souveraineté. Le terme vient du latin médiéval superanus (de superus=supérieur) ; ce principe abstrait désigne une autorité supérieure qui n’est soumise à aucun autre État, idée que les juristes et autres légistes appuient sur l’adage (issu du Droit romain) : « Le roi est empereur en son royaume ». L’affirmation de la souveraineté permet le passage d’un roi suzerain de ses seuls vassaux à un roi souverain de l’ensemble de ses sujets. Souveraineté et sujétion sont donc associées.
Plusieurs questions se posent alors : comment devient-on roi ? comment se manifeste la souveraineté ? avec quels droits, quelles prérogatives ?


2) 1. Hérédité et légitimité

* Le triomphe du principe d’hérédité

Par tradition, le pouvoir est électif, et pendant de longs siècles les rois n’accédaient légitimement au pouvoir qu’avec la reconnaissance des grands du royaume, par élection ou acclamation. Toutefois, le principe de la succession héréditaire s’est affirmé au profit de dynasties, mais comme le maintien de la règle élective pouvait les fragiliser, certaines ont eu recours à des « subterfuges » pour se stabiliser. En France, par exemple, dès Hugues Capet, les rois capétiens ont tous pris soin de faire sacrer leur fils aîné de leur vivant pour leur assurer le trône ; le dernier roi sacré du vivant de son père est Philippe II Auguste (1180-1223) en 1179.
L’accession au trône découle donc de l’appartenance à une famille dont on essaye de rehausser le prestige à l’aide de généalogies parfois douteuses. En France est forgé le mythe de la continuité des trois races Mérovingiens-Carolingiens-Capétiens, et lorsque Louis VIII monte sur le trône en 1223, un chroniqueur écrit que du fait de sa mère, Isabelle de Hainaut (épouse de Philippe II), l’événement marque « le retour à la race de Charles ». En Angleterre, sans s’en affirmer les descendants, les rois cherchent à capter le prestige du roi Arthur dont la littérature a développé la légende : en 1278, Édouard Ier fait transférer sa prétendue dépouille (?) dans un nouveau tombeau à Glastonbury, et en 1283, le même roi arrache la couronne d’Arthur aux Gallois pour la placer à l’abbaye de Westminster.

* Les problèmes dynastiques

Les dynasties connaissent toutefois de sérieux problèmes au cours des XIVe et XVe siècles. En France, le problème de la légitimité se trouve posé sur deux plans.
- A. La plan juridique :
En 1316, Louis X meurt en laissant une fille, Jeanne de Navarre, et une femme enceinte dont le fils, Jean Ier le Posthume, meurt quelques jours après sa naissance. Le frère de Louis, d’abord régent, se fait couronner en janvier 1317, et Jeanne de Navarre renonce officiellement à ses droits au trône – ce qui suppose qu’ils existaient. « Femme ne peut régner », décide-t-on.
En 1328, à la mort de Charles IV le Bel, on écarte ses filles, mais le parent mâle le plus proche n’est autre qu’Édouard III d’Angleterre, par sa mère Isabelle de France. Philippe VI de Valois (1328-1350) est donc choisi. Cette fois, est décidé que « Femme ne peut transmettre la couronne ».
C’est donc un principe contraire au droit coutumier héréditaire puisque est exclue la succession par les femmes. Le dispositif est donc fragile, et c’est alors que l’on invente (au sens de découvrir) la loi salique, loi germanique des anciens Francs saliens, orale sous Clovis, rédigée vers les VIIe-VIIIe siècles, réformée sous Charlemagne, qui ne fut invoquée ni en 1316 ni en 1328 car elle était tombée dans l’oubli. L’exclusion des femmes est d’abord affirmée par quelques auteurs (dont Jacques de Cessoles en traduisant les Échecs moralisés dans les années 1340, au chapitre consacré à la reine dans le jeu), jusqu’à la découverte de la loi salique dans les archives de l’abbaye de Saint-Denis par le moine Richard Lescot en 1358 (voir séance TD sur les chroniques) qui l’utilise alors pour établir une généalogie destinée à écarter les prétentions des Évreux-Navarre, en particulier de Charles le Mauvais (fils de Jeanne de Navarre). La loi salique devient loi fondamentale du royaume au XVe siècle.
- B. Le plan symbolique :
Le sang transmet le pouvoir, y compris à un nourrisson (Jean Ier) ou à un fou (Charles VI). De cet argument de droit découlent deux thèmes.
L’importance capitale de la fidélité des reines – pendant que les rois peuvent avoir maîtresses et enfants bâtards. En 1314, Philippe IV le Bel fait emprisonner (jusqu’à leur mort) deux de ses belles-filles, les épouses de Louis X et Charles IV, et exécuter avec un luxe de cruauté leurs amants, les frères d’Aunay. En 1350, à peine monté sur le trône, Jean II le Bon fait exécuter le connétable Raoul de Brienne, soupçonné d’avoir été l’amant de son épouse Bonne de Luxembourg morte en 1349 (d’où les accusations de naissance illégitime lancées par ses adversaires contre Charles V).
Le culte du sang royal. En 1297, pour apaiser le conflit avec Philippe IV, Boniface VIII décide la canonisation de Louis IX, grand-père du roi, qui devient saint Louis. Au cours du procès de canonisation, le frère du saint, Charles Ier d’Anjou avait déclaré que « la racine sainte a produit de saints rameaux ». C’est donc une sainteté dynastique, et ce n’est pas un hasard si les fils du roi régnant, appelés jusque-là « princes des fleurs de lys », sont désignés comme « princes de sang » à partir du milieu du XIVe siècle.

En Angleterre, la situation est également problématique, surtout au XVe siècle. Dès le XIVe siècle, des crises éclatent toutefois. Édouard II (1307-1327), incompétent dans la conduite du gouvernement et dans les affaires militaires (défaite de Bannockburn en 1314 contre les Écossais), n’a cessé de s’opposer à l’aristocratie. Les barons se rassemblent autour de l’épouse du roi, Isabelle de France, et de son amant Roger Mortimer ; en 1327, ils obligent le roi à abdiquer, mais en faveur de son fils légitime Édouard III (1327-1377), reconnu par le Parlement. En 1399, cette fois le Parlement viole la règle de succession en poussant Richard II à abdiquer en faveur de son cousin Henri IV de Lancastre (1399-1413). Au cours de la seconde moitié du XVe siècle, avec la Guerre des deux roses (1453-1485), un affrontement acharné oppose les Lancastre et les York, jusqu’à la pacification avec Henri VII Tudor (1485-1509). Voir le cours sur ce sujet.


2) 2. Le sacre royal : étude comparée

Le sacre royal revêt une importance fondamentale. Le modèle se trouve dans l’Ancien Testament ; les rois d’Israël étaient oints et couronnés par le grand prêtre ou par un prophète. Dans l’Occident barbare, la cérémonie apparaît pour la première fois chez les rois wisigoths d’Espagne (concile de Tolède de 633), pour ensuite se diffuser. Ainsi, à la fin du XIIIe siècle, dans différents royaumes (France, Angleterre, Castille, Aragon…), le sacre est devenu l’acte constitutif de la dévolution du pouvoir. C’est pourquoi Charles VII qui succède à son père en 1422 n’est que le « gentil dauphin » de Jeanne d’Arc jusqu’à son sacre le 17 juillet 1429.
Les cérémonies du sacre présentent d’assez fortes similitudes d’un royaume à l’autre. Il convient donc d’en faire une étude comparée en s’attachant à la signification des différences.


* Le sacre royal en France :

La cérémonie nous est connue par deux types de sources. L’ordo du sacre (pluriel ordines) est un texte qui fixe et décrit les étapes du cérémonial (gestes, paroles, participants…) ; plusieurs sont conservés : l’ordo de Ratold de Corbie (vers 973/986), utilisé jusqu’en 1223 pour le sacre de Louis VIII ; l’ordo dit de Reims (vers 1230), qui introduit diverses nouveautés (serment de lutter contre les hérétiques, association des 12 pairs au couronnement) ; un ordo d’environ 1270, le dernier sous les Capétiens ; l’ordo de 1364, rédigé sous la dictée de Charles V, lui aussi riche d’innovations. La seconde source est l’iconographie, sachant que les enluminures des manuscrits sont avant tout des mises en image des ordines
Le déroulement de la cérémonie – pour notre période - est le suivant :
- Le sacre a lieu à Reims, après une veillée de prière, pendant la grande messe du jour. En, 1431, le sacre du roi d’Angleterre Henri VI en tant que roi de France se déroule à Paris.
- Profession de foi catholique : récitation du Credo et réponses à des questions sur la foi.
- Serment : un serment à l’Église (défense de ses privilèges, de ses droits, de sa justice) ; un serment au peuple : paix, lutte contre l’injustice et règne de la miséricorde, auxquels s’ajoute la lutte contre l’hérésie à partir de 1230, et en 1364, un cinquième engagement : « Je préserverai la souveraineté et les droits de la couronne, et jamais je ne les transférerai ni ne les aliénerai », ce qui revient à réfuter le traité de Calais de 1360.
- Élection : pure formalité en France, elle est maintenue artificiellement.
- Onction avec la Sainte-Ampoule apportée par une colombe pour le baptême de Clovis (dont la première mention se trouve dans la Vie de saint Rémi par Hincmar de Reims vers 877…) ; l’onction est d’abord réservée à la tête, étendue à la poitrine et aux épaules en 1230, puis aux mains en 1364, pour renforcer la dimension militaire du pouvoir. C’est l’onction qui fait le sacre ; la consecratio, véritable sacrement, donne au roi le pouvoir d’un thaumaturge avec la capacité héréditaire de guérir par miracles (attestée dès la Vie de Robert le Pieux par Helgaud de Fleury au XIe siècle). En France, la fonction royale n’est pas seulement un office laïque, elle est assimilée à un sacrement.
- Remise des insignes royaux : épée, sceptre, éperons, anneau béni, puis couronne, remis par les 12 pairs de France, 6 ecclésiastiques (archevêque de Reims et évêques de Beauvais, Châlons-en-Champagne, Laon, Langres et Noyon) et 6 laïcs (dont la liste est fluctuante au gré de l’histoire des principautés).
- Une procession ramène l’assistance au palais archiépiscopal où est donné un banquet, aux frais des habitants de Reims (qui sont dédommagés par les dépenses de la cour durant le séjour). Le compte du banquet du sacre de Philippe VI de Valois (29 mai 1328) est conservé ; furent achetés 82 bœufs, 85 veaux, 289 moutons, 78 porcs, plus de 10000 poules, 824 lapins, 850 chapons, plus de 40000 œufs, 2279 carpes, 3550 anguilles…, et près de 70000 litres de vin.

L’affirmation du principe héréditaire a toutefois déprécié l’importance du sacre. En 1498, pour la première fois est prononcée la phrase « Mort est le roi Charles (VIII), Vive le roi Louis (XII). Au départ acte constitutif de la dévolution du pouvoir, le sacre n’est plus alors que la manifestation publique de cette transmission.


* Le sacre royal en Angleterre :

Les ordines sont là aussi la source principale pour le royaume d’Angleterre où le sacre est apparu en 787 (Egbert, roi de Mercie) : deux ordines anglo-saxons, un ordo normand du XIIe siècle, et le Liber regalis rédigé par l’abbé de Westminster Nicolas Lytlington (vers 1362-1386), donc contemporain du nouvel ordo de Charles V en France, ce qui n’est certainement pas une coïncidence due au hasard.


Le déroulement de la cérémonie – pour notre période - est le suivant :
- Le sacre a lieu à l’abbaye de Westminster, après une veillée de prière, pendant la grande messe du jour, mais c’est l’archevêque de Canterbury (primat de l’Église d’Angleterre) qui officie, ou celui d’York si la primatie est vacante.
- Le sacre débute par l’élection, qui est nettement moins formelle qu’en France ; une assemblée des barons la précède, au cours de laquelle des engagements précis peuvent être demandés au futur roi, comme en 1307 (Édouard II sera renversé pour ne les avoir pas tenus) ou en 1399 à Henri IV (qui venait de renverser Richard II).
- Le serment : là aussi, il peut être demandé au futur roi de s’engager à approuver toute loi régulièrement votée au Parlement à condition qu’elle soit juste et raisonnable ; ce sera une cause de la destitution d’Édouard II en 1327 et de Richard II en 1399.
- La remise des insignes : comme il n’y a pas de pair en Angleterre, les insignes (les mêmes qu’en France) sont remis par les ducs (Gloucester, Lancastre, York…) et par les comtes ou barons les plus anciens.
- Les rois d’Angleterre sont-ils thaumaturges ? À partir du XIIIe siècle, des témoignages montrent que les rois pratiquent le rite du toucher des malades. Une nouveauté apparaît sous Édouard II : le Vendredi saint, le roi dépose sur l’autel de sa chapelle de l’or pour en faire des « anneaux à donner pour médicine à divers gens » (1323). Cependant, le roi d’Angleterre souffre d’un lourd handicap puisqu’il n’est pas oint avec une huile sainte. Édouard II invente ainsi l’huile de saint Thomas Becket, archevêque de Canterbury (†1170) ; chancelier d’Henri II Plantagenêt, il fut exilé pour avoir critiqué les empiètements du roi sur les libertés de l’Église et se réfugia en France où la Vierge Marie lui aurait délivré une huile miraculeuse pour oindre les futurs rois d’Angleterre. La fiole est miraculeusement retrouvée à Poitiers en 1318 et Édouard II envisagea même de se faire sacrer une deuxième fois, ce dont le pape Jean XXII le dissuada. L’huile disparaît ensuite, pour réapparaître au sacre d’Henri IV en 1399 (l’usurpateur en avait sans doute besoin) et être utilisée lors des sacres jusqu’au milieu du XVIIe siècle.

En Angleterre, à la différence de la France, le sacre ne suffit pas à faire le roi entre le XIIIe et le XVe siècle. L’élection par les grands, moins formelle, et le serment assorti d’engagements, prouvent que la royauté anglaise a une dimension contractuelle accusée. Cette caractéristique héritée du Moyen Âge – que l’on retrouvera, dans la suite du cours, en amphi ou par écrit… - explique que l’Angleterre soit restée étrangère au système de la monarchie absolue de l’époque moderne.


2) 3. Contenu et attributs de la souveraineté

Le pouvoir une fois dévolu, il s’exerce à l’intérieur d’un cadre territorial. Or, la tendance très nette du XIIIe au XVe siècle est l’élargissement des compétences et des attributions du souverain, malgré les difficultés – ou dans certains cas grâce à elles - de la période. Il s’agit ici simplement de les annoncer, pour les étudier de manière approfondie dans la suite du cours (en II. B)

* Les fonctions traditionnelles

- La justice : Elle est l’office fondamental, puisque le but premier de l’État est de faire régner la paix et la justice. En France, lors du sacre, après le couronnement, le clergé s’adresse au roi et prononce cette formule : « Ton sceptre royal est un sceptre d’équité, et afin que tu imites celui qui a dit "Tu aimeras la justice et détesteras l’iniquité", c’est pour cela que Dieu, ton Dieu, t’a oint de l’huile de la joie ».
- La paix et la défense : À ce titre, le roi est chef des armées dont l’organisation féodo-vassalique est censée, en début de période au moins, fournir les effectifs ; en fin de période, l’évolution vers une armée professionnelle et permanente n’enlève pas au souverain cette attribution.
- La fiscalité : Pour remplir ces tâches, le roi est en mesure de taxer les gouvernés, sur la base au départ d’une fiscalité indirecte, puis de l’impôt direct.

* Les nouvelles compétences étatiques :

- L’intervention croissante dans le domaine économique : Depuis longtemps, les pouvoirs publics interviennent en cette matière (frappe monétaire, réglementation des marchés ou des métiers). Les XIVe et XVe siècles ouvrent de nouveaux secteurs d’action.
. Face aux disettes et aux famines, des mesures sont prises pour contrôler le commerce des grains et assurer le ravitaillement ; pour ce qui est du sel, en France, l’instauration de la gabelle, avant d’être une mesure fiscale, est destinée à lutter contre la pénurie et à organiser le commerce à l’échelle nationale.
. La fin du Moyen Âge réinvente – elle était pratiquée dans l’Antiquité – l’arme économique. Le montre le blocus ou l’embargo sur les exportations de laine décidé en Angleterre pour asphyxier épisodiquement l’activité textile en Flandre, avant la création de l’« Étape » (monopole de l’exportation de laine par les marchands anglais, sous contrôle du roi, avec passage obligé de toutes les cargaisons par Calais).
- L’intervention croissante dans le domaine religieux : Le serment du sacre noue une relation particulière entre le roi et son Église, mais à la fin du Moyen Âge, l’emprise royale sur le clergé se développe dans le cadre de la naissance des Églises nationales – qui sera étudiée en III. A.


L’exercice de ces compétences – traditionnelles et nouvelles confondues – sans cesse plus lourdes entraîne, à terme, un bouleversement de l’agencement général des institutions. Au niveau central, des organes spécialisés sont progressivement créés par démembrement de l’ancienne Curia regis où le roi gouvernait entouré de ses vassaux ; ces organes sont désormais peuplés de professionnels et de techniciens, fonctionnaires formés en général dans les universités. Au niveau de l’administration locale, la même tendance à la multiplication et à la spécialisation des offices peut être relevée. Cependant, pour des raisons principalement budgétaires, le nombre de ces offices reste limité et les royaumes de France et d’Angleterre restent notoirement sous-encadrés, ce qui est un frein réel à la souveraineté.
Nathalie
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