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cours de l'année dernière n°1

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Message  Nathalie Dim 28 Fév - 11:45

Voici les cours que Manoli m'a gentiment passé, bonne lecture

CHAPITRE I. B
LA GUERRE DE CENT ANS ET
SES CONSÉQUENCES (mi XIVe-fin XVe s.)

I. Les grandes étapes du conflit (chapitre commencé le 27 janvier)
A) Des premiers désastres à la Paix de Calais (1337-1360)
B) La revanche française et les longues trêves (1360-vers 1400)
Conclusion :
La trêve de 1388, devenue générale en 1389, est prolongée à plusieurs reprises jusqu’en 1395. En 1396, à Paris, sont conclues des trêves qui doivent aller jusqu’à la Saint-Michel 1426. Ainsi se met en place l’« abstinence de guerre » dont parlent les chroniqueurs, qui n’est toutefois pas la paix à cause d’ « attentats aux trêves » qui sont le fait de troupes limitées en effectif. Une phase du conflit touche indiscutablement à son terme. Le roi d’Angleterre Richard II (1377-1399) se fait le champion de la pacification : il ratifie la trêve de 1396 et épouse Isabelle de France, fille du roi Charles VI (1380-1422), l’union dynastique devant sceller la réconciliation.
Mais la paix reste cependant introuvable, du fait de difficultés intérieures que rencontrent les deux pays belligérants :
- En France, en 1392, Charles VI est victime d’un premier accès de folie. Après l’épisode de Jean II le Bon, roi prisonnier, le royaume est à nouveau touché au chef. Les oncles du roi (Philippe, duc de Bourgogne, Jean, duc de Berry) retrouvent leur influence – après avoir été écartés de leur tutelle sur le jeune roi en 1388 - et entrent en rivalité avec le frère cadet du souverain, Louis de Touraine, bientôt duc d’Orléans. Le roi, hébété, sanctionne les décisions les plus contradictoires.
- En Angleterre, la politique de Richard II – tant intérieure qu’extérieure – est critiquée. En 1398, le roi bannit son cousin Henri de Lancastre qui trouve refuge en France ; à la mort de son père Jean de Gand en 1399, Henri est privé de ses terres. De retour, il renverse Richard II (et le fait exécuter en 1400) et se proclame roi sous le nom d’Henri IV (1399-1413). C’est la fin de la dynastie issue des Plantagenêts du XIIe siècle et l’avènement de la dynastie des Lancastre. Malgré un programme ouvertement belliciste qui le démarque de son prédécesseur, Henri IV confirme les trêves, mais ne cherche pas la paix.
Au tournant des XIVe et XVe siècles, les deux royaumes connaissent donc une accalmie dans leurs relations, mais des bouleversements politiques intérieurs.

C) La reprise de la guerre et la « double monarchie »
Au début du XVe siècle, les Valois de France reprennent l’offensive. Cherchant à profiter d’une révolte galloise entamée en 1404 qui affaiblit Henri IV, une campagne militaire est lancée en Guyenne et contre Calais. Pourtant, quand les Anglais débarquent à nouveau en France en 1412, c’est à l’appel d’un prince français, Jeans sans Peur, duc de Bourgogne (1404-1419) depuis la mort de son père, cousin du roi de France !
L’épisode illustre la crise politique que traverse alors le royaume et les rivalités qui le désolent. Depuis 1404, une lutte feutrée oppose deux hommes que tout distingue : Louis d’Orléans, frère du roi, nonchalant, beau parleur, ami des arts, et Jean sans Peur, taciturne, dur et déplaisant. Les deux hommes ont les mêmes intentions : élargir leurs possessions, renforcer l’administration de leur principauté et prendre la première place dans le gouvernement du royaume. Après de nombreuses altercations au Conseil du roi, Jean sans Peur fait assassiner Louis d’Orléans le 23 novembre 1407. L’indignation est générale, mais le duc de Bourgogne se ressaisit : il fait circuler des Justifications (rédigées par son conseiller Jean Petit) dans lesquelles il accuse Louis d’avoir voulu être tyran et légitime donc ce tyrannicide ; il campe en champion de la réforme, ce qui lui assure une popularité à Paris où il procède à une épuration politique (chancellerie royale, Parlement et Chambre des comptes). Mais sa position reste fragile, car face à lui s’organisent ceux que l’on va bientôt appeler les Armagnacs (suite au mariage de Charles d’Orléans, fils de Louis, avec la fille du connétable Bernard VII d’Armagnac). Ce parti réunit aussi la reine Isabeau de Bavière, les ducs de Berry et de Bourbon, et contrôle la moitié Sud du royaume.
Jean sans Peur croit pouvoir consolider sa position en demandant l’intervention des Anglais en juillet 1411 auxquels il promet quelques villes de son comté de Flandre et son aide pour la conquête de la Normandie. En 1412, une chevauchée anglaise – la première depuis 1380 - part de Cherbourg et rejoint Bordeaux après avoir dévasté la vallée de la Loire. L’année 1413 est particulièrement trouble à Paris : en février, Jean sans Peur déchaîne la foule contre les Armagnacs dont plusieurs sont assassinés ; ces derniers reprennent la ville à l’automne et la tiennent jusqu’en 1418. En Angleterre, Henri IV meurt le 20 mars 1413 et lui succède son fils Henri V (1413-1422) qui se veut l’« apôtre d’une paix juste », c’est-à-dire pour lui non seulement l’application du traité de Calais mais aussi la restitution des fiefs confisqués à Jean sans Terre en 1202 !
En 1415, Henri V débarque en France avec son frère Jean, duc de Bedford, et une armée de 12000 hommes, rejoints par des Bourguignons donc le duc reconnaît le roi d’Angleterre comme roi de France. Le 25 octobre 1415, près d’Arras, ils écrasent les Français à Azincourt. Henri V revient en 1417 et entame cette fois la conquête méthodique du duché de Normandie. L’année suivante, la reine Isabeau se rapproche de Jean sans Peur – qui détenait Charles VI - et ils entrent dans Paris (29 mai 1418), mais la progression des Anglais en direction de la capitale entraîne un rapprochement du duc de Bourgogne avec les Armagnacs ; à l’occasion d’une rencontre entre Jean sans Peur et le dauphin Charles, le 10 septembre 1419 à Montereau, Tanguy du Châtel, fidèle du dauphin, tue le duc de Bourgogne pour venger la mort de Louis d’Orléans. La vengeance de Montereau s’avère une erreur car Philippe le Bon, nouveau duc de Bourgogne (1419-1467) se rapproche d’Henri V.
C’est dans ce contexte difficile qu’est signé le traité de Troyes le 21 mai 1420. Il instaure le système de la « double monarchie » : Charles VI restera roi jusqu’à sa mort (ce qui revient à légitimer les Valois) ; le roi de France donne en mariage sa fille Catherine (sa fille aînée Isabelle avait déjà épouser Richard II d’Angleterre…) à Henri V ; à la mort de Charles VI, le roi d’Angleterre héritera de la France, mais chaque royaume conservera son droit, ses coutumes et ses libertés. Il s’agit donc d’une union personnelle des deux couronnes, non d’une fusion. Le « soi-disant dauphin de Viennois » est banni pour « ses horribles et énormes crimes et délits » et le traité proclame son exhérédation ; le jeune Charles est ainsi privé de son héritage, donc de la succession au trône. Le traité est approuvé par l’opinion parisienne, par l’Université de Paris et par les États de langue d’oïl, aux mains des Bourguignons.
À cette date, le dauphin et les Armagnacs tiennent la France au Sud de la Loire ; ils disposent d’une solide armée, de ressources financières et d’alliances extérieures. Les Anglais doivent donc passer à l’offensive. le duc de Clarence, frère d’Henri V, fait campagne dans le Maine et en Anjou, zone stratégique tenue par le duc d’Anjou (et sa mère Yolande d’Aragon), fidèle au dauphin, qui fait le tampon entre la Normandie anglaise et les terres des Armagnacs, mais Clarence meurt lors de la défaite anglaise du Vieil-Baugé le 22 mars 1421. En 1422, à quelques semaines d’intervalle meurent Henri V (31 août) et Charles VI (21 octobre). Au terme du traité de Troyes, Henri VI, né au printemps 1421, devenait roi de France et Bedford prit la régence. Une nouvelle offensive Anglo-Bourguignonne en 1423-1424 débouche sur la prise du Maine, et en 1428, quelques milliers d’Anglais entament le siège d’Orléans.

D) De Jeanne d’Arc à la reconquête française (1429-1453)
L’épisode Jeanne d’Arc illustre à la fois l’abîme dans lequel était tombée la monarchie française et sa capacité à rebondir. La situation territoriale alimente alors le désarroi (voir dans le dossier documents du CM la carte « La France de Jeanne d’Arc »). La dynastie Lancastre tient en effet – outre l’Angleterre – la Guyenne, la Normandie, l’essentiel du Maine, une partie de la Picardie et de la Champagne, et la poche de Calais ; les Anglais sont alliés au duc de Bourgogne (par ailleurs comte de Flandre) et proches du duc Jean V de Bretagne et contrôlent donc au total la moitié du territoire français. L’autre moitié est aux mains du « dauphin de Bourges » qui dispose de l’appui des autres grandes maisons princières (Anjou, Orléans, Bourbon, Foix…) et de l’alliance de l’Écosse et de la Castille.
L’accueil réservé à Jeanne d’Arc témoigne alors du désarroi des esprits. Née en 1412 à Domrémy (rive française de la Meuse, à la frontière avec le Saint-Empire), elle entend des « voix » à partir de 1425 qui lui délivrent des prophéties et l’enjoignent d’aller trouver le « gentil dauphin » à Chinon ; la célèbre entrevue a lieu le 6 mars 1429. Le 8 mai 1429, elle délivre Orléans. Elle emmène ensuite le dauphin à Reims pour son sacre, le 17 juillet 1429, et lui déclare alors : « Gentil roi, or est exécuté le plaisir de Dieu qui voulait que levasse le siège d’Orléans, et que vous emmenasse en cette cité de Reims recevoir votre saint sacre, en montrant que vous êtes vrai roi et celui auquel le royaume de France doit appartenir ». Le 13 mai 1430, elle entre dans Compiègne où elle est faite prisonnière le 24 mai par Jean de Luxembourg, qui la vend aux Anglais. Son procès débute en février 1431 ; elle est condamnée à mort comme « hérétique, relapse, apostate et idolâtre » et brûlée le 30 mai 1431. Charles VII n’a rien fait pour la sauver. Pour couronner leur victoire apparente, les Anglais font sacrer Henri VI à Paris le 16 décembre 1431, mais cette cérémonie tardive n’efface pas le sacre de Reims de 1429.
En réalité, Charles VII conserve des avantages et l’alliance Angleterre-Bourgogne s’étiole, ce qui permet l’ouverture de négociations qui débouchent sur la Paix d’Arras (21 septembre 1435) entre Charles VII et le duc de Bourgogne Philippe Le Bon. En apparence, le traité est peu favorable au roi : il désavoue le meurtre de Jean sans Peur, cède des territoires au duc (comtés de Mâcon, Auxerre et Ponthieu, les villes de la Somme…), et dispense le duc d’hommage pour ses fiefs français ; de même, ses sujets ne sont pas tenus d’obéir aux convocations militaires du roi. Le duc de Bourgogne, pair de France, devenait maître de sa politique. En réalité, Charles VII y trouvait de nombreux avantages : les terres cédées étaient déjà dans la main du duc et le roi n’avait pas les moyens de les reconquérir ; surtout, Charles VII se faisait reconnaître comme roi légitime par le prince le plus puissant du royaume, et il brisait l’alliance entre la Bourgogne et l’Angleterre.
Dans l’immédiat, la réconciliation franco-bourguignonne permet des progrès significatifs de la reconquête. En 1435, l’Île-de-France est nettoyée par le connétable Arthur de Richemont (frère du duc de Bretagne) qui entre dans Paris en 1436. En 1437, une double offensive est lancée contre la Guyenne et la Normandie. Les années 1436-1438 sont également marquées par de grandes réformes administratives, financières et judiciaires destinées à renforcer la centralisation monarchique et le développement de l’emprise royale. Elles entraînent d’ailleurs une révolte des princes en 1440, la « Praguerie » (par allusion aux insurgés hussites de la région de Prague), menée par le dauphin Louis ; les princes (ducs de Bourbon et de Bretagne, comte d’Armagnac…) s’opposent à cette centralisation et jugent insuffisantes les faveurs royales en récompense de leur fidélité. Le roi riposte énergiquement en 1441-1442 et brise cette alliance de circonstance, avant d’imposer les trêves de Tours (mai 1444-avril 1446) ; entre-temps, le mariage de Marguerite d’Anjou (fille du roi René et nièce de Charles VII) avec Henri VI marque une volonté affichée de pacification avec l’Angleterre.
Après un train de réformes militaires ‘1444-1447) qui donnent naissance à une armée permanente, le roi de France rompt les trêves pour achever la reconquête. En 1449-1450, la campagne de Normandie libère le duché de la domination anglaise ; elle se termine par la prise de Caen (1er juillet 1450) et de Cherbourg (12 août). La même année est lancée la campagne de Guyenne ; Bordeaux est prise une première fois en 1451, puis perdue, et reprise définitivement le 19 octobre 1453. La guerre de Cent Ans vient de s’achever.
La seconde prise de Bordeaux scelle la fin du conflit au plan militaire, mais pas au regard du droit international dans la mesure où aucun traité de paix n’est ensuite conclu. Deux traités sont pourtant signés, mais ils ne concernent pas le règlement du conflit. Le 29 août 1475, par la paix de Picquigny (près d’Amiens), Louis XI et Édouard IV s’entendent sur la neutralité anglaise dans le conflit qui oppose le roi de France au duc de Bourgogne Charles le Téméraire. Le 3 novembre 1492, par la paix d’Étaples, Charles VIII et Henri VII Tudor s’engagent à des « trêves prolongées », donc une paix permanente. Cette situation s’explique par le fait que les destinées des deux royaumes s’écartent progressivement devant la priorité des affaires intérieures.

Conclusion : les caractères de la guerre de Cent Ans
Le principal caractère de cette guerre est évidemment son exceptionnelle longévité (1337-1453). Cette longueur trouve plusieurs explications qui tiennent pour l’essentiel à la conception encore médiévale de la guerre.
L’idéologie dominante est en faveur du maintien et du rétablissement de la paix, ordre naturel voulu par Dieu. Le texte des trêves de Tours de 1444 le prouve : « Pour l’honneur et révérence de Dieu notre Créateur, qui a commandé paix, amour et charité entre les hommes, et pour empêcher l’effusion de sang humain et faire cesser les horribles et exécrables maux, péchés et inconvénients et les très dures et insupportables oppressions, afflictions et tourments du pauvre peuple chrétien advenus (…) à l’occasion des âpres et cruelles guerres qui longuement ont duré en ce royaume ». Depuis saint Augustin (†430), la guerre doit être une « guerre juste » et « l’objet final de la guerre est la paix ».
Tous les moyens sont utilisés pour parvenir à la paix : les médiations (en particulier celles de la papauté) ; les mariages : Édouard Ier avec Marguerite (sœur de Philippe IV le Bel), Édouard II avec Isabelle (fille du même roi), Richard II avec Isabelle et Henri V avec Catherine, toutes deux filles de Charles VI, et Henri VI avec Marguerite d’Anjou ; les entrevues et conférences – à ce titre la paix d’Arras de 1435 est le résultat du premier grand congrès européen.
Pourtant, la guerre dure dans le temps, sur environ six générations, car de nombreux facteurs déterminants y contribuent :
- L’importance des revendications ;
- L’ampleur des crises politiques intérieures qui alimentent la propension à utiliser la reprise des hostilités comme moyen de s’imposer ;
- La mentalité belliqueuse de la noblesse ;
- Le conflit a également favorisé le développement d’un sentiment national et d’une xénophobie qui nourrit à son tour la guerre. Ainsi, l’humaniste français Jean de Montreuil, esprit pourtant éclairé, écrit vers 1411 : « Quand je vois qu’ils [les Anglais] ne désirent rien tant que gâter et détruire ce royaume, dont Dieu le garde, et qu’à tous leurs voisins ils ont guerre mortelle, je les ais en telle abomination et haine que j’aime ceux qui les haïssent et je hais ceux qui les aiment » (À toute la chevalerie de France).

Une chose est sûre : la guerre de Cent Ans a eu des conséquences importantes. Pas tant au plan démographique, car les effectifs militaires engagés restent le plus souvent limités, de même que les pertes, car il est beaucoup plus lucratif de faire des prisonniers dont on obtiendra une rançon en échange de leur libération que de tuer l’ennemi ; quelques batailles ont pourtant été meurtrières : la bataille de l’Écluse (1340), où environ 20000 Français périrent noyés, ou celle de Formigny le 15 avril 1450 (pour la reconquête de la Normandie, avec environ 3700 Anglais tués (et 1200 prisonniers). En revanche, avec la pratique des chevauchées, entreprises de destruction systématique et délibérée, et les pillages des mercenaires (Compagnies du XIVe ou Écorcheurs du XVe siècle), la guerre génère la dévastation et la désolation. La guerre occupe également une place centrale dans le processus de la genèse des États modernes.

II. France et Angleterre dans la seconde moitié du XVe siècle
A) Le royaume d’Angleterre
Pendant la guerre de Cent Ans, le sol anglais a été épargné par les opérations militaires et la guerre civile qui ravageaient le royaume de France. Par un retour de situation, la défaite anglaise en 1453 plonge le royaume d’Angleterre dans une guerre civile meurtrière, la « guerre des Deux Roses », de 1453 à 1485.

* Les causes de la guerre civile :
Les tensions sur la frontière écossaise et la reprise de la guerre de Cent Ans dans les années 1410 ont renforcé le recours aux armées privées durant la première moitié du siècle ; les magnats (ducs, comtes) qui appartiennent pour la plupart à la famille royale développent ainsi des clientèles armées qui s’avèrent fort coûteuses, d’autant que la guerre ne rapporte plus autant avec les défaites anglaises qui s’accumulent.
Mais comme en France au temps de la folie de Charles VI, l’enjeu principal est le contrôle du Conseil royal à l’avènement d’Henri VI en 1422, alors qu’il a tout juste un an. La régence est exercée par son oncle, Jean de Bedford (†1435), surtout présent en France ; une lutte inexpiable s’ouvre entre deux branches de la famille de Lancastre (voir arbre généalogique de la famille royale d’Angleterre dans le livret de documents du CM) : les Beaufort (bâtards légitimés de Jean de Gand, fils d’Édouard III), et le duc Humphrey de Gloucester, oncle d’Henri VI. En 1442, à sa majorité, Henri VI, qui ne jure que par ses cousins Beaufort, élimine leurs opposants (Gloucester en 1447, William de la Pole, duc de Suffolk, en 1450). Cela laisse le champ libre aux ambitions d’un autre membre de la famille, Richard, duc d’York, descendant d’Édouard III, d’autant que le couple royal n’a pas d’enfant. En 1453, année de la perte de la Guyenne, naît enfin un héritier, Édouard, prince de Galles, mais le roi d’Angleterre est à son tour frappé de folie.
Richard d’York passe à l’offensive et pendant trois décennies, l’Angleterre est livrée à la guerre que se livrent deux branches issues l’une et l’autre d’Édouard III : les Lancastre, qui adoptent pour emblème la rose rouge, et les York qui en font autant avec une rose blanche, d’où le nom de « guerre des Deux Roses ».

* Le déroulement de la guerre civile :
- 1454 : Richard d’York l’emporte et se déclare « protecteur du royaume », s’empare du Conseil royal et devient régent.
- 1460 : après avoir remporté la victoire de Northampton (10 juillet), il réclame le trône, mais meurt à la bataille de Wakefield (aux environs de Leeds) le 30 décembre.
- 1461 : son fils, Édouard de La Marche, remporte la victoire de Towton (29 mars) et s’empare du trône ; il devient Édouard IV (1461-1483). Son règne commence dans le sang, car de nombreux ennemis s’opposent à lui : la reine Marguerite d’Anjou (réfugiée en France), les Tudor, ou Édouard, comte de Warwick.
- 1470 : Warwick renverse Édouard IV qui se réfugie en Bourgogne ; il devient Édouard V, roi éphémère pendant quelques mois.
- 1471 : Édouard IV revient en Angleterre et inflige une défaite complète au parti Lancastrien (mort de Warwick, du prince de galles Édouard et de son père Henri VI en mai) ; les derniers opposants, les Tudor, trouvent refuge en France. La deuxième moitié de son règne est plus calme.
- 1483 : Mort d’Édouard IV (9 avril), alors que la dynastie est loin d’être solidement installée. Il laisse trois enfants (Élizabeth, née en 1465, et des fils mineurs). Son frère Richard, duc de Gloucester, se débarrasse de ses neveux (réputés bâtards) et s’empare de la couronne. Il devient Richard III (1483-1485).
- 1485 : Henri Tudor, réfugié en France, rallie tous les mécontents, y compris des Yorkistes opposés au nouveau roi usurpateur. Il débarque au Pays de Galles et écrase Richard III qui meurt à la bataille de Bosworth (22 août). Pour devenir roi de plein droit, Henri Tudor réunit le Parlement, se fait couronner, puis épouse Élizabeth d’York. Il devient Henri VII.

* Henri VII et la « nouvelle monarchie ».
Les historiens attribuent à Henri VII (1485-1509) une œuvre politique qualifiée de « nouvelle monarchie », même si les rois Yorkistes en ont posé les premiers fondements. Les traits majeurs, dont la mise en place se prolonge au XVIe siècle, en sont :
- Une politique de paix, seule capable d’entamer le poids des partis aristocratiques et de renforcer l’autorité royale ; d’où les traités de 1475 et 1492 avec la France.
- La guerre civile a anéanti de nombreux lignages aristocratiques et les a en même temps discrédités ; la « nouvelle monarchie » repose donc sur la collaboration de la Gentry, groupe composite de gentilshommes et d’écuyers ou de bourgeois enrichis devenus sirs.
- Le redressement financier : le massacre de certaines grands familles et les confiscations en représailles ont permis d’accroître le domaine royal anglais ; la reprise économique s’accompagne d’un développement des prélèvements fiscaux ; la parcimonie - voire même l’avarice – d’Henri VII a aussi contribué à assainir les finances.

« L’Angleterre sortait ainsi entièrement renouvelée de sa longue crise. Non point encore puissance maritime et coloniale, mais déjà royaume solide, bien rassemblé, riche d’une forte industrie drapière, communauté nationale cohérente, consciente d’elle-même et résolue à tenir sa place dans la vie politique et économique de l’Europe » (B. Chevalier).

B) Le royaume de France
Les trêves de Tours de 1444 sont le fruit d’un épuisement des belligérants et d’une réelle aspiration à voir la fin du conflit. Si l’Angleterre plonge alors dans la guerre civile, la France de la seconde moitié du XVe siècle est un pays en pleine reconstruction démographique et économique.

* La « grant monarchie de France »
Au plan politique, l’époque correspond à ce que nombre de chroniqueurs appellent la « grant monarchie de France ». Après bien des troubles, le temps est à la stabilité dynastique, avec des règnes relativement longs : Charles VII (1422-1461), Louis XI (1461-1483) et Charles VIII (1483-1498), qui portent la France de la fin du XVe siècle au rang de première puissance du monde occidental. L’amélioration de la conjoncture y est pour beaucoup, mais elle ne suffit pas à l’expliquer. Les rois de cette époque sont de grands réformateurs, par voie d’ordonnances. Les domaines d’application de ces réformes sont divers. Il ne s’agit ici que de les annoncer puisqu’elles seront étudiées en détail dans la seconde partie du CM :
- Réformes militaires : monopole royal du recrutement des gens d’arme (1439), armée permanente (1445), milice des francs-archers (1446, 1448).
- Réformes financières : monopole royal de la taille (1439), organisation et perception de la fiscalité (1443-1447, domaine sans cesse retouché). Vers 1460, le roi peut compter sur des revenus de 1.800.000 l.t. (la taille en représente les 2/3) ; vers 1485, ils atteignent 4.600.000 l.t. (dont 84% pour la seule taille).
- Réformes judiciaires : Ordonnance de Montil-lès-Tours (1454), avec la réforme du Parlement, la rédaction des Coutumes des différentes provinces pour rendre les procédures judiciaires plus claires.

* Les difficultés de la monarchie
Dans le même temps, l’image d’une monarchie triomphante est fausse, car le renforcement de l’autorité royale se trouve confronté à l’hostilité des princes territoriaux qui ont tout à y perdre. À partir de 1440, une série d’épreuves de force manifestent cette transformation des relations entre le roi et la noblesse :
- 1440 : la « Praguerie » (voir plus haut, p. 3).
- 1464-1465 : « Guerre du Bien public ». Après la mort de Charles VII en 1461, son fils Louis XI congédie la plupart des grands personnages du royaume qui avaient servi le roi défunt pour donner leurs offices à ses protégés. Tous les mécontents se rassemblent derrière le duc de Bretagne François II et lancent une opération militaire en 1464-1465. Le Traité d’Ancenis de 1468, signé entre Louis XI et le duc, met un terme à la révolte.
- 1485 et 1487 : la « Guerre folle ». La mort de Louis XI en 1483 entraîne un soulagement général. Du fait du jeune âge de son fils Charles VIII, il a confié la régence à sa fille Anne (née en 1461) et à son mari Pierre de Beaujeu. Mais Louis d’Orléans (petit-fils du Louis d’Orléans assassiné en 1407, futur Louis XII) réclame la régence et le pouvoir ; il obtient la convocation des États généraux de Tours en 1484, mais le parti des Beaujeu manipule l’assemblée à son profit. Louis d’Orléans fait alors alliance avec le duc de Bretagne et mène deux campagnes militaires, en 1485 et 1487, qui échouent.
La monarchie française semble alors au faîte de sa puissance. Forts d’une souveraineté renforcée par la disparition de plusieurs principautés (Bourgogne en 1477, Anjou en 1480, Bretagne en 1492…) et l’absorption de la Provence dans le royaume (1481), les rois de France se lancent dans l’aventure des Guerres d’Italie à partir de Charles VIII.

CHAPITRE I. C

DE L’APOGÉE À LA CRISE DÉMOGRAPHIQUE

« La dépopulation fut effroyable. Dans ces années lugubres, ce fut comme un cercle meurtrier : la guerre mène à la famine, et la famine à la peste ; celle-ci ramène à la famine à son tour. On croit lire cette nuit de l’Exode où l’ange passe et repasse, touchant chaque maison de l’épée ».
(Jules Michelet, Histoire de France, Livre IX)

Ces quelques lignes de l’historien français du XIXe siècle sont remarquables. En parlant de « cercle meurtrier », il relie entre elles les causes de la crise démographique. En évoquant l’épisode biblique de l’ange, il fait part de l’interprétation qui est alors donnée de ces événements dramatiques ; on voit alors dans cette crise un châtiment divin qui demande pénitence. En décrivant « une dépopulation effroyable » sans le moindre chiffre, il pointe un problème majeur de l’histoire démographique du Moyen Âge, l’absence de sources. En effet, il n’existe pas de recensements d’habitants, mais seulement - grâce à l’essor de la fiscalité… - des recensements de contribuables ; cependant, ils posent à leur tout un double problème :
- Des individus ou des groupes sociaux ne sont pas assujettis à l’impôt, les uns de droit (noblesse, clergé), les autres de fait (pauvres et indigents, vagabonds) ; mais combien représentent-ils en % dans la population ?
- Les recensements sont dressés par feux, c’est-à-dire par foyer, mais combien de personnes forment en moyenne un feu ? Le nombre est sans doute d’environ 5, probablement moins pour un feu urbain. De plus, au XVe siècle, face à l’appauvrissement de la population, pour que le plus grand nombre paie, on passe du « feu réel » (foyer effectif) au « feu fiscal » ; c’est un feu fictif qui correspond à l’addition d’un nombre variable de feux réels modestes, qui doivent acquitter collectivement l’équivalent de ce que paie un feu réel fortuné. L’indication perd alors une grande partie de sa valeur démographique.

Il faut donc le plus souvent se contenter d’approximations ou d’estimations, en acceptant l’hypothèse d’une marge d’erreur éventuelle, dont on ne peut apprécier l’importance. Les chiffres n’en restent pas moins éloquents :
- Royaume de France : vers 1000, 5 m° d’habitants
1328, 16 m° (dans les frontières d’alors)
1440, 8 à 9 m°
- Royaume d’Angleterre : 1086, 2 m° d’habitants
1340, environ 5 m°
1450, environ 2 à 2,5 m°
(par la suite, m°= million, h.=habitants)
I. La fin de la croissance démographique (fin XIIIe-début XIVe s.)
A) Un équilibre fragile
Avant même le déferlement de la peste au milieu du XIVe siècle, la situation de l’Occident médiéval paraît fragile. Elle correspond à l’état de surcharge démographique, c’est-à-dire à une rupture du rapport entre un niveau de population et les capacités nutritives dont elle dispose. La crise démographique a donc des racines profondes. Les paramètres en sont : :
- L’arrêt des grands défrichements, alors que l’essor démographique se prolonge, entraînant dans les campagnes une « faim de terre » ; en Angleterre, dans le Bassin de Londres, en 1280-1320, 40 à 60% des tenures paysannes font moins de 3 hectares (superficie minimum pour assurer la survie d’un famille une fois la dîme et les impôts seigneuriaux acquittés et les semences de l’année suivant prélevées). Entre un tiers et la moitié des masses paysannes vivent aux limites du seuil de subsistance.
- Une urbanisation sans pause, suite à un essor important des villes depuis les XIe-XIIe siècles. La France compte de nombreuses villes peuplées au début du XIVe siècle : Paris (200.000 h.) ; un foyer urbain en Flandre (Gand avec 60.000 h., Bruges avec 40.000, Ypres…) ; de nombreuses villes de 30 à 40.000 h. (Rouen, Montpellier, Tours, Toulouse,…). En Angleterre, la seule ville peuplée est Londres (50.000 h.). Dans tous les cas, pour nourrir une ville de 10.000 h., il faut prélever son approvisionnement dans un rayon de 20/25 kms.

Or les densités rurales apparaissent extrêmement élevées en certaines régions. En Angleterre, dans la région de Norfolk, elles atteignent 180 à 190 h/km2 ! En France, d’après l’« état des paroisses et des feux » dressé au tout début du règne de Philippe VI de Valois en 1328 (en vue de lever un impôt pour la campagne de Flandre), elles sont aussi élevées en Normandie et surtout en Île-de-France.
Dans ces conditions, le moindre accident (climatique, militaire…) peut avoir des conséquences dramatiques et rompre cet équilibre fragile. C’est ce qui se passe avec le retour des famines – liées dans un premier temps au climat - dans la seconde moitié du XIIIe siècle : 1257/8 et 1270/2 en Angleterre, 1302 en Europe du Nord, 1315/7 en Angleterre et France du Nord (avec 10% de morts dans les villes de Flandre), ou 1339/40 en Provence et Languedoc. Il faut donc insister sur une évidence : au début du XIVe siècle, parfois dès les dernières décennies du XIIIe, l’Occident est à un optimum démographique, et le niveau de population a commencé à baisser dès avant la crise, peste et guerre ne faisant qu’amplifier le phénomène.
Reste la question de l’interprétation de cette crise démographique et bientôt économique. Elle fait l’objet d’un débat historiographique :
- Pour l’historiographie marxiste, la crise est structurelle car elle découle d’une inadaptation des structures de production, en particulier de la lourdeur du sur-prélèvement seigneurial ; ce serait donc une « crise systémique » (G. Bois).
- Selon l’historiographie dominante, la crise est seulement conjoncturelle, avec un rôle certain joué par l’histoire du climat.


B) Les comportements démographiques
On a coutume de dire que la démographie médiévale est une « démographie gaspilleuse » qui découle de l’articulation de plusieurs paramètres :
- Une forte natalité : Des historiens avancent un taux de natalité de l’ordre de 30 à 40 pour mille. Quelle validité ? L’étude des testaments de la noblesse montre environ de 3 à 6 enfants vivants par couple fécond. Dans le monde paysan, le morcellement des tenures reflète aussi un nombre élevé de naissances. Pourtant, il n’y a pas d’explosion démographique car cette forte natalité est compensée par…
- Une forte mortalité : Si l’on connaît des centenaires au Moyen Âge, il est évident que l’espérance de vie était plus faible qu’aujourd’hui, ce dont témoigne l’archéologie funéraire (les enfants représentent souvent la moitié des squelettes exhumés) ; on estime qu’un tiers des enfants devait mourir avant l’âge de 5 ans, et la moitié seulement parvenait à l’âge adulte. Les classifications sur les âges de la vie produites par différents auteurs viennent à l’appui de cette brièveté de la vie ; sous la plume de Barthélemy l’Anglais (†1250, religieux franciscain anglais), la vieillesse commence à 40 ans !
- Une population jeune : La résultante de ces comportements est la jeunesse de la population, avec toutes les conséquences que cela peut avoir sur la vie sociale (dynamisme, capacité de redressement en cas de famine, âge précoce de la majorité juridique, entrée précoce dans la vie…).


II. Facteurs de la crise démographique et bilan des pertes
A) Les causes de la crise
Un vieillard – il y en avait - du temps de Charles VII, roi de France (1422-1461), écrit dans son testament : « Jamais je n’ai connu dans mon village une année sans tumulte, sans guerre ou sans mortalité ». En effet, si les facteurs de la crise se sont mis lentement en place depuis des décennies, le milieu du XIVe siècle la voit éclater brutalement et pour longtemps.

- Famines : endémiques au tournant des XIIIe et XIVe siècles, elles frappent désormais avec un rythme de plus en plus soutenu, mais avec de fortes disparités régionales. En France, si elles sont encore causées à l’occasion par des accidents climatiques, ce sont les dévastations de la guerre qui en sont la principale cause à partir de l’ouverture des hostilités.

- Guerre : Elle contribue de différentes manières, directes ou indirectes, à la mortalité.
Le passage de troupes est toujours cause de destruction, mais les Anglais pratiquent les chevauchées qui sont des entreprises systématiques de dévastation : 1340, 1346 (Normandie-Paris-Artois), 1355, 1356, 1359, 1360, 1370, 1373 (Calais-Reims-Auvergne-Bordeaux), 1380, 1412…
Les exactions sur les populations, qui appauvrissent.
La mortalité directe des combattants, mais aussi des civils : dans plusieurs localités (Orly, Châtres dans l’Aube…), les habitants du village sont enfermés dans l’église qui est alors incendiée (comme à Oradour-sur-Glane durant la seconde Guerre Mondiale).

- Peste : Présente dès l’Antiquité, elle a disparu de l’Occident depuis la fin du VIIIe siècle. À la fin de l’année 1347, des marchands de Gênes, de retour de leur comptoir commercial de Caffa (Mer noire), la réintroduisent en Occident. Cette maladie infectieuse prend deux formes parfaitement identifiées par les médecins de l’époque, mais qui restent totalement désarmés pour la combattre : la peste bubonique, transmise par piqûre, qui entraîne la mort dans les deux jours, mais dont un certain nombre d’individus réchappent en ayant gagné une immunité acquise ; la peste pneumonique ou pulmonaire, véhiculée par la salive, mortelle dans tous les cas. La violence de l’épidémie et l’absence de traitement explique les interprétations fantaisistes (colère divine, conjonction des astres, complot des juifs ou des lépreux… : voir TD Texte 2).
La peste vient de faire son retour en Europe, pour frapper de manière récurrente :
. 1347-1352 : la Peste noire. Bilan : en moyenne, la mortalité a frappé un tiers de la population.
. 1360-1363 : la « seconde peste » ou « peste des enfants ».
. 1373-1375, 1399-1404, deux nouvelle grandes vagues.
. Au XVe siècle, s’il y a encore quelques grandes épidémies (1412/13, 1439/40, 1482/84), la peste adopte la forme d’une endémie permanente, qui se réveille ça et là, souvent en association avec d’autres maladies (coqueluche, grippe, vérole…), et couplée avec des famines.


B) Bilan des pertes
Les historiens peuvent constater une « dépopulation effroyable » et en percevoir les conséquences sur le terrain (TD Texte 3 sur le diocèse de Cahors) ou sur les attitudes religieuses (TD Leçon 1), mais ils peinent à la chiffrer avec précision, faute de sources. De plus, lorsque des sources permettent de mesurer l’ampleur de la mortalité, il est difficile sinon impossible d’en déterminer la cause (peste ? guerre ? famine ?).
Certaines sources concernent des milieux spécifiques. À Perpignan, sur les 125 notaires en activité en 1347, 45 seulement sont vivants en 1349. À Marseille, le couvent franciscain perd la totalité des 150 religieux qui l’occupaient avant la Peste noire. Mais les notaires comme le clergé sont particulièrement exposés à la peste puisqu’ils ont pour fonction d’assister les mourants pour la rédaction d’un testament (notaires) et d’encadrer leur passage vers l’au-delà (clergé).
Fort heureusement, hors de ces groupes à risque, certaines sources, parfois exceptionnelles, autorisent une approche quantitative plus fine.

- Les plus anciens registres paroissiaux (dans lesquels les curés notent baptêmes, mariages et décès) concernent la Bretagne à partir du XVe siècle.
À Givry, petite ville de Bourgogne (près de Châlon-sur-Saône), le curé a noté dans un cahier les offrandes laissées à l’occasion de l’administration des sacrements (dont l’extrême-onction) de 1334 à 1357. Avant la peste, il y a de 20 à 40 inhumations par an, mais 649 pour la période juillet-décembre 1348 (dont 303 pour le seul mois de septembre qui correspond au pic de l’épidémie) !

- Les sources fiscales, beaucoup plus nombreuses, montrent également l’évolution de la population dans différents lieux et révèlent d’assez fortes variations entre régions, en Angleterre comme en France. Exemples :
. Le Languedoc : 210.000 feux imposables en 1328, 75.000 en 1382, soit une baisse de 60%.
. La ville de Périgueux : 2445 feux à son apogée vers 1330, 719 à son niveau le plus bas en 1455, avant une lente reprise.
. La ville de Paris : environ 200.000 h. en 1328, mais moins de 100.000 un siècle plus tard d’après les rôles de taille (en 1423).

Ceci dit, il est difficile de tirer des conclusions chiffrées sur le niveau réel de la mortalité car il est brouillé par une phénomène de grande ampleur, la mobilité géographique pendant les crises ou après elles. Ainsi, le phénomène des villages abandonnés n’est parfois que temporaire, les populations allant se mettre à l’abri des enceintes urbaines aussi longtemps que des troupes infestent le pays, avant de revenir ; en Angleterre cependant, avec des variations régionales, ce sont en moyenne 20% des villages du royaume qui ont été définitivement abandonnés. De même, pour assurer la reprise économique, des seigneurs ou des princes cherchent à attirer des migrants dans leurs domaines (octroi de la liberté, d’avantages fiscaux ou judiciaires…). Au temps de la reconstruction des campagnes françaises, à partir des années 1420/1460, d’importantes migrations, venues notamment du Massif Central ou du Limousin, permettent la reprise en Île-de-France. Suite à ce brassage de population, la mortalité réelle pourrait avoir dépassé les chiffres donnés par les recensements de contribuables.




C) Une mortalité sélective ?
Une dernière question, qui alimente de longue date un débat entre historiens, doit être posée : la mortalité fut-elle sélective ? Si oui, selon quels critères différentiels :

* Selon le lieu de résidence, villes ou campagnes ?
On dit habituellement que l’entassement humain et le manque d’hygiène auraient fait de la ville un mouroir et que la contagion aurait entraîné des pertes plus lourdes. Des sources montrent en effet de pertes comprises entre 40 et 60% en milieu urbain sur quelques décennies à partir du milieu du XIVe siècle. Mais il faut nuancer : dès la première vague d’épidémie, le pouvoir royal, des princes ou des gouvernements urbains ont promulgué des mesures en faveur de l’hygiène publique et de la prévention sanitaire.
Par ailleurs, rien ne serait plus faux que d’imaginer des campagnes plus épargnées :
. En Dauphiné, sur 210 localités de moins de 300 feux, les pertes entre 1339 et les années 1470 vont de 47% à 71%.
. En Bourgogne, dans le pays de Beaune, le nombre de feux baisse de 60% entre 1285 et 1391.

* Selon la condition économique, riches ou pauvres ?
Les détenteurs de la fortune ou les individus aisés passent pour être moins touchés par la mortalité. Il est incontestable qu’ils peuvent se prémunir contre la famine car ils ne sont pas touchés par la cherté des grains. Face à la peste, ils peuvent fuir dans leurs résidences rurales (s’ils en ont et si cela est efficace), mais la médecine moderne a montré en revanche que le fait d’être bien nourri n’a pas d’impact sur la résistance à la maladie. La question n’est donc pas tranchée.
Les sources écrites soulignent d’ailleurs le caractère trans-social de la peste, qu’elles soient de type diplomatique ou narratif. Un thème iconographique à la mode est celui de la Danse macabre où l’on voit la mort (un squelette) danser avec tous les états de la société, du pape au paysan ou du roi au simple artisan. En revanche, dans certaines occasions, les crises de mortalité ont entraîné des phénomènes de haine sociale.

* Selon l’âge, jeunes ou vieux ?
Il a été dit plus haut qu’un sujet qui contracte la peste mais en réchappe (la médecine moderne évalue entre 10 et 30% les cas de rémission) a gagné une immunité acquise. Par conséquent, les enfants non encore exposés à une épidémie sont des victimes potentielles. Au sujet de la seconde peste de 1360-1363, également appelée « peste des enfants », Guy de Chauliac, médecin du pape d’Avignon, écrit : « Elle différait de la précédente de ce qu’en la première moururent plus de populace, et en celle-ci plus de riches et de nobles et un nombre infini d’enfants ».
La récurrence des épidémies vient ainsi casser toute reprise démographique et le résultat le plus visible de la crise est une pénurie d’enfants qui contraste nettement avec la jeunesse de la population avant la peste. Deux exemples :
. En Angleterre, dans le village d’Helesowen, en 1393, la classe d’âge la plus nombreuse est celle des 40-49 ans, et 23% des habitants de la paroisse ont plus de 60 ans
. À Reims, dans la paroisse Saint-Pierre de la ville, en 1422, pour un effectif de plus de 1300 personnes, les 4-9 ans sont moins nombreux que les 44-49 ans.

Une véritable révolution démographique a donc eu lieu, qui vient poser la question du renouvellement des générations puisque les jeunes font défaut. Pour simplifier, si l’on transforme ces données en pyramide des âges, la structure de la population a été entièrement bouleversée :
- Jusqu’au milieu du XIVe siècle, avec une forte natalité et malgré une mortalité infantile élevée, la population est jeune ; la pyramide des âges devait alors ressembler à celle, actuelle, des pays en développement.
- À partir du milieu du XIVe siècle, la population vieillit ; la pyramide des âges a dû assez rapidement adopter la forme de celle, actuelle, des pays riches et développés.


III. Les structures démographiques au temps des crises
Le principe d’une « démographie gaspilleuse » au Moyen Âge n’a évidemment connu aucune amélioration aux XIVe et XVe siècles, bien au contraire. Pourtant, l’étude des sources qui permettent d’appréhender les structures démographiques des populations anglaise et française montre une évidence : au lendemain de chaque crise de mortalité, une reprise démographique importante se manifeste avec une envolée de la nuptialité et de la fécondité, mais cette reprise est ensuite anéantie par l’épidémie suivante.

* La nuptialité
Malgré la violence de chaque crise, les populations font preuve d’une étonnante capacité de relèvement, dont témoigne dans un premier temps la nuptialité.
Si l’on reprend l’exemple du village bourguignon de Givry, entre 1337 et 1347, le curé du village célèbre en moyenne 20 mariages par an ; entre juillet et décembre 1348, au moment où la peste frappe le village, 0 mariage, mais 84 en 1349, dont la moitié juste après l’épidémie (entre la mi-janvier et la fin février, au rythme d’un par jour !). Les survivants se recomposent en couples nouveaux, gage d’une reprise à venir de la fécondité

À quel âge se marie-t-on ? Selon le droit, l’âge légal à partir duquel on peut se marier (ou être marié…) est de 14 ans pour les garçons et de 12 pour les filles. Quelle est la pratique sociale ? Les historiens ont longtemps cru que les hommes et les femmes du Moyen Âge se mariaient très jeunes, et que ce serait seulement à l’époque moderne que se serait développé le « modèle européen » caractérisé par deux traits : une part importante d’adultes célibataires, et un âge tardif (pas avant 25 ans) au mariage, cet âge avancé des mariés étant devenu un moyen de réguler la fécondité du couple.
Cette thèse n’est plus acceptée aujourd’hui. Certes, à la fin du Moyen Âge, on trouvera toujours de très jeunes mariés, souvent des filles, notamment dans l’aristocratie où elles continuent à être utilisées comme des pièces d’une stratégie familiale d’alliance. Mais diverses études ont montré que, dès le XIIIe siècle, se rencontrent dans les villes comme dans les campagnes de nombreux adultes célibataires, notamment en Angleterre d’après des travaux récents :
. D’après des listes de serfs du Leicestershire du XIIIe siècle, selon les villages, les hommes mariés sont de 46 à 53%, les femmes de 46 à 50%.
. Dans le comté voisin de Rutland, en 1380-1381 (liste de contribuables), 63% des hommes sont mariés, mais seulement 55% des femmes
. À Coventry, en 1523, au-delà de l’âge de 15 ans, 43 % des femmes sont célibataires.

Pour l’Église, le seul cadre légal dans lequel la sexualité est tolérée (et avec pour seul but de procréer, position que est encore la sienne en 2009) est le mariage. Pourtant, là aussi se relève un écart important entre la norme et la pratique sociale. La sexualité extra-conjugale et l’adultère sont extrêmement développés comme le prouvent toutes sortes de sources : listes d’excommuniés, registres des officialités (qui sont les tribunaux épiscopaux dans chaque diocèse, compétents sur ce sujet), lettres de rémission, sources narratives… Outre l’essor de la prostitution (étudiée par Jacques Rossiaud, La prostitution médiévale, Paris, 1990, pour celles et ceux que cela intéresse), on a pu dire du XVe siècle qu’il était « le siècle des bâtards » tant sont nombreux les enfants naturels, notamment dans l’aristocratie (il suffit de regarder les chefs de guerre dans l’entourage de Jeanne d’Arc ou les chefs des Écorcheurs), jusque dans les familles princières (le « bon roi » René d’Anjou, duc d’Anjou et comte de Provence, a eu une fille naturelle, Blanche) ou royale (la célèbre Agnès Sorel, maîtresse « officielle » de Charles VII).




* Fécondité et natalité
La natalité a sans doute été plus irrégulière au temps des crises, mais il est évident qu’elle est restée élevée comme le montrent diverses sources (« livres de famille », registres de baptêmes…). Cependant, il semblerait que la condition socio-économique ait eu une influence sur la fécondité : elle est élevée dans les milieux aisés, mais par une attitude qui s’apparent à une sorte de malthusianisme, la pauvreté contribue à faire baisser la fécondité – par différents modes de limitation des naissances (contraception, connue et pratiquée sous différentes formes depuis l’Antiquité, abstinence sexuelle…).
Pourtant, la surmortalité infantile entraîne dans tous les milieux sociaux une baisse du nombre d’enfants vivants par famille :
. En Lyonnais, d’après les testaments, sur la période 1300-1500, le nombre moyen d’enfants vivants (mentionnés comme héritiers) est de 2,4 par famille ; mais il chute de 3,9 entre 1300-1340 à 1,39 entre 1340-1410.
. En Angleterre, les chevaliers qui tiennent un fief doivent déclarer le nombre de fils majeurs (ce qui exclut des chiffres à suivre les mineurs et les filles) : de 1,4 en moyenne en 1316-1330, le nombre est passé à 0,8 en 1420-1440.


Conclusion
Dans le cadre du cours sur « Les royaumes de France et d’Angleterre (fin XIIIe-fin XVe siècle). États et sociétés », l’objectif de ce chapitre sur la démographie est double : contribuer – au même titre que l’étude des étapes de la guerre de Cent Ans - à la présentation générale du contexte, et envisager les répercussions de la crise démographique sur les relations entre États et sociétés et, plus généralement sur la genèse des États modernes.
La crise démographique donne aux pouvoirs publics de nouveaux domaines d’intervention ou les invitent à renforcer leurs actions dans des domaines où ils sont déjà présents : la question sanitaire, l’hygiène publique, l’assistance (pour des motifs qui relèvent autant de la charité chrétienne que du souci de l’ordre public), l’économie ou la fixation des salaires… Dans le même temps, la crise oblige les États à davantage d’efficacité administrative, car moins d’habitants, c’est naturellement moins de contribuables – souvent appauvris – au moment où naît la fiscalité d’État qui est au cœur du processus de renforcement des structures étatiques. Elle les contraint également à faire preuve d’inventivité pour remédier au déficit du nombre des hommes, par exemple dans le domaine militaire où moins d’habitants, c’est aussi moins de combattants.
Il ne faut pas pour autant conclure - avec un certain cynisme - que de cette crise brutale sont sorties des conséquences seulement positives ou novatrices, même si la période témoigne de l’inventivité et du dynamisme de la société dans son ensemble. La crise a évidemment entravé ou nui à nombre de volontés ou de projets. Là est la problématique centrale, entre un contexte défavorable et la manière de le dépasser. Une question d’une troublante actualité…
Nathalie
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