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Message  Nathalie Dim 28 Fév - 11:46

CHAPITRE I. C

DE L’APOGÉE À LA CRISE DÉMOGRAPHIQUE

« La dépopulation fut effroyable. Dans ces années lugubres, ce fut comme un cercle meurtrier : la guerre mène à la famine, et la famine à la peste ; celle-ci ramène à la famine à son tour. On croit lire cette nuit de l’Exode où l’ange passe et repasse, touchant chaque maison de l’épée ».
(Jules Michelet, Histoire de France, Livre IX)

Ces quelques lignes de l’historien français du XIXe siècle sont remarquables. En parlant de « cercle meurtrier », il relie entre elles les causes de la crise démographique. En évoquant l’épisode biblique de l’ange, il fait part de l’interprétation qui est alors donnée de ces événements dramatiques ; on voit alors dans cette crise un châtiment divin qui demande pénitence. En décrivant « une dépopulation effroyable » sans le moindre chiffre, il pointe un problème majeur de l’histoire démographique du Moyen Âge, l’absence de sources. En effet, il n’existe pas de recensements d’habitants, mais seulement - grâce à l’essor de la fiscalité… - des recensements de contribuables ; cependant, ils posent à leur tout un double problème :
- Des individus ou des groupes sociaux ne sont pas assujettis à l’impôt, les uns de droit (noblesse, clergé), les autres de fait (pauvres et indigents, vagabonds) ; mais combien représentent-ils en % dans la population ?
- Les recensements sont dressés par feux, c’est-à-dire par foyer, mais combien de personnes forment en moyenne un feu ? Le nombre est sans doute d’environ 5, probablement moins pour un feu urbain. De plus, au XVe siècle, face à l’appauvrissement de la population, pour que le plus grand nombre paie, on passe du « feu réel » (foyer effectif) au « feu fiscal » ; c’est un feu fictif qui correspond à l’addition d’un nombre variable de feux réels modestes, qui doivent acquitter collectivement l’équivalent de ce que paie un feu réel fortuné. L’indication perd alors une grande partie de sa valeur démographique.

Il faut donc le plus souvent se contenter d’approximations ou d’estimations, en acceptant l’hypothèse d’une marge d’erreur éventuelle, dont on ne peut apprécier l’importance. Les chiffres n’en restent pas moins éloquents :
- Royaume de France : vers 1000, 5 m° d’habitants
1328, 16 m° (dans les frontières d’alors)
1440, 8 à 9 m°
- Royaume d’Angleterre : 1086, 2 m° d’habitants
1340, environ 5 m°
1450, environ 2 à 2,5 m°
(par la suite, m°= million, h.=habitants)
I. La fin de la croissance démographique (fin XIIIe-début XIVe s.)
A) Un équilibre fragile
Avant même le déferlement de la peste au milieu du XIVe siècle, la situation de l’Occident médiéval paraît fragile. Elle correspond à l’état de surcharge démographique, c’est-à-dire à une rupture du rapport entre un niveau de population et les capacités nutritives dont elle dispose. La crise démographique a donc des racines profondes. Les paramètres en sont : :
- L’arrêt des grands défrichements, alors que l’essor démographique se prolonge, entraînant dans les campagnes une « faim de terre » ; en Angleterre, dans le Bassin de Londres, en 1280-1320, 40 à 60% des tenures paysannes font moins de 3 hectares (superficie minimum pour assurer la survie d’un famille une fois la dîme et les impôts seigneuriaux acquittés et les semences de l’année suivant prélevées). Entre un tiers et la moitié des masses paysannes vivent aux limites du seuil de subsistance.
- Une urbanisation sans pause, suite à un essor important des villes depuis les XIe-XIIe siècles. La France compte de nombreuses villes peuplées au début du XIVe siècle : Paris (200.000 h.) ; un foyer urbain en Flandre (Gand avec 60.000 h., Bruges avec 40.000, Ypres…) ; de nombreuses villes de 30 à 40.000 h. (Rouen, Montpellier, Tours, Toulouse,…). En Angleterre, la seule ville peuplée est Londres (50.000 h.). Dans tous les cas, pour nourrir une ville de 10.000 h., il faut prélever son approvisionnement dans un rayon de 20/25 kms.

Or les densités rurales apparaissent extrêmement élevées en certaines régions. En Angleterre, dans la région de Norfolk, elles atteignent 180 à 190 h/km2 ! En France, d’après l’« état des paroisses et des feux » dressé au tout début du règne de Philippe VI de Valois en 1328 (en vue de lever un impôt pour la campagne de Flandre), elles sont aussi élevées en Normandie et surtout en Île-de-France.
Dans ces conditions, le moindre accident (climatique, militaire…) peut avoir des conséquences dramatiques et rompre cet équilibre fragile. C’est ce qui se passe avec le retour des famines – liées dans un premier temps au climat - dans la seconde moitié du XIIIe siècle : 1257/8 et 1270/2 en Angleterre, 1302 en Europe du Nord, 1315/7 en Angleterre et France du Nord (avec 10% de morts dans les villes de Flandre), ou 1339/40 en Provence et Languedoc. Il faut donc insister sur une évidence : au début du XIVe siècle, parfois dès les dernières décennies du XIIIe, l’Occident est à un optimum démographique, et le niveau de population a commencé à baisser dès avant la crise, peste et guerre ne faisant qu’amplifier le phénomène.
Reste la question de l’interprétation de cette crise démographique et bientôt économique. Elle fait l’objet d’un débat historiographique :
- Pour l’historiographie marxiste, la crise est structurelle car elle découle d’une inadaptation des structures de production, en particulier de la lourdeur du sur-prélèvement seigneurial ; ce serait donc une « crise systémique » (G. Bois).
- Selon l’historiographie dominante, la crise est seulement conjoncturelle, avec un rôle certain joué par l’histoire du climat.


B) Les comportements démographiques
On a coutume de dire que la démographie médiévale est une « démographie gaspilleuse » qui découle de l’articulation de plusieurs paramètres :
- Une forte natalité : Des historiens avancent un taux de natalité de l’ordre de 30 à 40 pour mille. Quelle validité ? L’étude des testaments de la noblesse montre environ de 3 à 6 enfants vivants par couple fécond. Dans le monde paysan, le morcellement des tenures reflète aussi un nombre élevé de naissances. Pourtant, il n’y a pas d’explosion démographique car cette forte natalité est compensée par…
- Une forte mortalité : Si l’on connaît des centenaires au Moyen Âge, il est évident que l’espérance de vie était plus faible qu’aujourd’hui, ce dont témoigne l’archéologie funéraire (les enfants représentent souvent la moitié des squelettes exhumés) ; on estime qu’un tiers des enfants devait mourir avant l’âge de 5 ans, et la moitié seulement parvenait à l’âge adulte. Les classifications sur les âges de la vie produites par différents auteurs viennent à l’appui de cette brièveté de la vie ; sous la plume de Barthélemy l’Anglais (†1250, religieux franciscain anglais), la vieillesse commence à 40 ans !
- Une population jeune : La résultante de ces comportements est la jeunesse de la population, avec toutes les conséquences que cela peut avoir sur la vie sociale (dynamisme, capacité de redressement en cas de famine, âge précoce de la majorité juridique, entrée précoce dans la vie…).


II. Facteurs de la crise démographique et bilan des pertes
A) Les causes de la crise
Un vieillard – il y en avait - du temps de Charles VII, roi de France (1422-1461), écrit dans son testament : « Jamais je n’ai connu dans mon village une année sans tumulte, sans guerre ou sans mortalité ». En effet, si les facteurs de la crise se sont mis lentement en place depuis des décennies, le milieu du XIVe siècle la voit éclater brutalement et pour longtemps.

- Famines : endémiques au tournant des XIIIe et XIVe siècles, elles frappent désormais avec un rythme de plus en plus soutenu, mais avec de fortes disparités régionales. En France, si elles sont encore causées à l’occasion par des accidents climatiques, ce sont les dévastations de la guerre qui en sont la principale cause à partir de l’ouverture des hostilités.

- Guerre : Elle contribue de différentes manières, directes ou indirectes, à la mortalité.
Le passage de troupes est toujours cause de destruction, mais les Anglais pratiquent les chevauchées qui sont des entreprises systématiques de dévastation : 1340, 1346 (Normandie-Paris-Artois), 1355, 1356, 1359, 1360, 1370, 1373 (Calais-Reims-Auvergne-Bordeaux), 1380, 1412…
Les exactions sur les populations, qui appauvrissent.
La mortalité directe des combattants, mais aussi des civils : dans plusieurs localités (Orly, Châtres dans l’Aube…), les habitants du village sont enfermés dans l’église qui est alors incendiée (comme à Oradour-sur-Glane durant la seconde Guerre Mondiale).

- Peste : Présente dès l’Antiquité, elle a disparu de l’Occident depuis la fin du VIIIe siècle. À la fin de l’année 1347, des marchands de Gênes, de retour de leur comptoir commercial de Caffa (Mer noire), la réintroduisent en Occident. Cette maladie infectieuse prend deux formes parfaitement identifiées par les médecins de l’époque, mais qui restent totalement désarmés pour la combattre : la peste bubonique, transmise par piqûre, qui entraîne la mort dans les deux jours, mais dont un certain nombre d’individus réchappent en ayant gagné une immunité acquise ; la peste pneumonique ou pulmonaire, véhiculée par la salive, mortelle dans tous les cas. La violence de l’épidémie et l’absence de traitement explique les interprétations fantaisistes (colère divine, conjonction des astres, complot des juifs ou des lépreux… : voir TD Texte 2).
La peste vient de faire son retour en Europe, pour frapper de manière récurrente :
. 1347-1352 : la Peste noire. Bilan : en moyenne, la mortalité a frappé un tiers de la population.
. 1360-1363 : la « seconde peste » ou « peste des enfants ».
. 1373-1375, 1399-1404, deux nouvelle grandes vagues.
. Au XVe siècle, s’il y a encore quelques grandes épidémies (1412/13, 1439/40, 1482/84), la peste adopte la forme d’une endémie permanente, qui se réveille ça et là, souvent en association avec d’autres maladies (coqueluche, grippe, vérole…), et couplée avec des famines.


B) Bilan des pertes
Les historiens peuvent constater une « dépopulation effroyable » et en percevoir les conséquences sur le terrain (TD Texte 3 sur le diocèse de Cahors) ou sur les attitudes religieuses (TD Leçon 1), mais ils peinent à la chiffrer avec précision, faute de sources. De plus, lorsque des sources permettent de mesurer l’ampleur de la mortalité, il est difficile sinon impossible d’en déterminer la cause (peste ? guerre ? famine ?).
Certaines sources concernent des milieux spécifiques. À Perpignan, sur les 125 notaires en activité en 1347, 45 seulement sont vivants en 1349. À Marseille, le couvent franciscain perd la totalité des 150 religieux qui l’occupaient avant la Peste noire. Mais les notaires comme le clergé sont particulièrement exposés à la peste puisqu’ils ont pour fonction d’assister les mourants pour la rédaction d’un testament (notaires) et d’encadrer leur passage vers l’au-delà (clergé).
Fort heureusement, hors de ces groupes à risque, certaines sources, parfois exceptionnelles, autorisent une approche quantitative plus fine.

- Les plus anciens registres paroissiaux (dans lesquels les curés notent baptêmes, mariages et décès) concernent la Bretagne à partir du XVe siècle.
À Givry, petite ville de Bourgogne (près de Châlon-sur-Saône), le curé a noté dans un cahier les offrandes laissées à l’occasion de l’administration des sacrements (dont l’extrême-onction) de 1334 à 1357. Avant la peste, il y a de 20 à 40 inhumations par an, mais 649 pour la période juillet-décembre 1348 (dont 303 pour le seul mois de septembre qui correspond au pic de l’épidémie) !

- Les sources fiscales, beaucoup plus nombreuses, montrent également l’évolution de la population dans différents lieux et révèlent d’assez fortes variations entre régions, en Angleterre comme en France. Exemples :
. Le Languedoc : 210.000 feux imposables en 1328, 75.000 en 1382, soit une baisse de 60%.
. La ville de Périgueux : 2445 feux à son apogée vers 1330, 719 à son niveau le plus bas en 1455, avant une lente reprise.
. La ville de Paris : environ 200.000 h. en 1328, mais moins de 100.000 un siècle plus tard d’après les rôles de taille (en 1423).

Ceci dit, il est difficile de tirer des conclusions chiffrées sur le niveau réel de la mortalité car il est brouillé par une phénomène de grande ampleur, la mobilité géographique pendant les crises ou après elles. Ainsi, le phénomène des villages abandonnés n’est parfois que temporaire, les populations allant se mettre à l’abri des enceintes urbaines aussi longtemps que des troupes infestent le pays, avant de revenir ; en Angleterre cependant, avec des variations régionales, ce sont en moyenne 20% des villages du royaume qui ont été définitivement abandonnés. De même, pour assurer la reprise économique, des seigneurs ou des princes cherchent à attirer des migrants dans leurs domaines (octroi de la liberté, d’avantages fiscaux ou judiciaires…). Au temps de la reconstruction des campagnes françaises, à partir des années 1420/1460, d’importantes migrations, venues notamment du Massif Central ou du Limousin, permettent la reprise en Île-de-France. Suite à ce brassage de population, la mortalité réelle pourrait avoir dépassé les chiffres donnés par les recensements de contribuables.




C) Une mortalité sélective ?
Une dernière question, qui alimente de longue date un débat entre historiens, doit être posée : la mortalité fut-elle sélective ? Si oui, selon quels critères différentiels :

* Selon le lieu de résidence, villes ou campagnes ?
On dit habituellement que l’entassement humain et le manque d’hygiène auraient fait de la ville un mouroir et que la contagion aurait entraîné des pertes plus lourdes. Des sources montrent en effet de pertes comprises entre 40 et 60% en milieu urbain sur quelques décennies à partir du milieu du XIVe siècle. Mais il faut nuancer : dès la première vague d’épidémie, le pouvoir royal, des princes ou des gouvernements urbains ont promulgué des mesures en faveur de l’hygiène publique et de la prévention sanitaire.
Par ailleurs, rien ne serait plus faux que d’imaginer des campagnes plus épargnées :
. En Dauphiné, sur 210 localités de moins de 300 feux, les pertes entre 1339 et les années 1470 vont de 47% à 71%.
. En Bourgogne, dans le pays de Beaune, le nombre de feux baisse de 60% entre 1285 et 1391.

* Selon la condition économique, riches ou pauvres ?
Les détenteurs de la fortune ou les individus aisés passent pour être moins touchés par la mortalité. Il est incontestable qu’ils peuvent se prémunir contre la famine car ils ne sont pas touchés par la cherté des grains. Face à la peste, ils peuvent fuir dans leurs résidences rurales (s’ils en ont et si cela est efficace), mais la médecine moderne a montré en revanche que le fait d’être bien nourri n’a pas d’impact sur la résistance à la maladie. La question n’est donc pas tranchée.
Les sources écrites soulignent d’ailleurs le caractère trans-social de la peste, qu’elles soient de type diplomatique ou narratif. Un thème iconographique à la mode est celui de la Danse macabre où l’on voit la mort (un squelette) danser avec tous les états de la société, du pape au paysan ou du roi au simple artisan. En revanche, dans certaines occasions, les crises de mortalité ont entraîné des phénomènes de haine sociale.

* Selon l’âge, jeunes ou vieux ?
Il a été dit plus haut qu’un sujet qui contracte la peste mais en réchappe (la médecine moderne évalue entre 10 et 30% les cas de rémission) a gagné une immunité acquise. Par conséquent, les enfants non encore exposés à une épidémie sont des victimes potentielles. Au sujet de la seconde peste de 1360-1363, également appelée « peste des enfants », Guy de Chauliac, médecin du pape d’Avignon, écrit : « Elle différait de la précédente de ce qu’en la première moururent plus de populace, et en celle-ci plus de riches et de nobles et un nombre infini d’enfants ».
La récurrence des épidémies vient ainsi casser toute reprise démographique et le résultat le plus visible de la crise est une pénurie d’enfants qui contraste nettement avec la jeunesse de la population avant la peste. Deux exemples :
. En Angleterre, dans le village d’Helesowen, en 1393, la classe d’âge la plus nombreuse est celle des 40-49 ans, et 23% des habitants de la paroisse ont plus de 60 ans
. À Reims, dans la paroisse Saint-Pierre de la ville, en 1422, pour un effectif de plus de 1300 personnes, les 4-9 ans sont moins nombreux que les 44-49 ans.

Une véritable révolution démographique a donc eu lieu, qui vient poser la question du renouvellement des générations puisque les jeunes font défaut. Pour simplifier, si l’on transforme ces données en pyramide des âges, la structure de la population a été entièrement bouleversée :
- Jusqu’au milieu du XIVe siècle, avec une forte natalité et malgré une mortalité infantile élevée, la population est jeune ; la pyramide des âges devait alors ressembler à celle, actuelle, des pays en développement.
- À partir du milieu du XIVe siècle, la population vieillit ; la pyramide des âges a dû assez rapidement adopter la forme de celle, actuelle, des pays riches et développés.


III. Les structures démographiques au temps des crises
Le principe d’une « démographie gaspilleuse » au Moyen Âge n’a évidemment connu aucune amélioration aux XIVe et XVe siècles, bien au contraire. Pourtant, l’étude des sources qui permettent d’appréhender les structures démographiques des populations anglaise et française montre une évidence : au lendemain de chaque crise de mortalité, une reprise démographique importante se manifeste avec une envolée de la nuptialité et de la fécondité, mais cette reprise est ensuite anéantie par l’épidémie suivante.

* La nuptialité
Malgré la violence de chaque crise, les populations font preuve d’une étonnante capacité de relèvement, dont témoigne dans un premier temps la nuptialité.
Si l’on reprend l’exemple du village bourguignon de Givry, entre 1337 et 1347, le curé du village célèbre en moyenne 20 mariages par an ; entre juillet et décembre 1348, au moment où la peste frappe le village, 0 mariage, mais 84 en 1349, dont la moitié juste après l’épidémie (entre la mi-janvier et la fin février, au rythme d’un par jour !). Les survivants se recomposent en couples nouveaux, gage d’une reprise à venir de la fécondité

À quel âge se marie-t-on ? Selon le droit, l’âge légal à partir duquel on peut se marier (ou être marié…) est de 14 ans pour les garçons et de 12 pour les filles. Quelle est la pratique sociale ? Les historiens ont longtemps cru que les hommes et les femmes du Moyen Âge se mariaient très jeunes, et que ce serait seulement à l’époque moderne que se serait développé le « modèle européen » caractérisé par deux traits : une part importante d’adultes célibataires, et un âge tardif (pas avant 25 ans) au mariage, cet âge avancé des mariés étant devenu un moyen de réguler la fécondité du couple.
Cette thèse n’est plus acceptée aujourd’hui. Certes, à la fin du Moyen Âge, on trouvera toujours de très jeunes mariés, souvent des filles, notamment dans l’aristocratie où elles continuent à être utilisées comme des pièces d’une stratégie familiale d’alliance. Mais diverses études ont montré que, dès le XIIIe siècle, se rencontrent dans les villes comme dans les campagnes de nombreux adultes célibataires, notamment en Angleterre d’après des travaux récents :
. D’après des listes de serfs du Leicestershire du XIIIe siècle, selon les villages, les hommes mariés sont de 46 à 53%, les femmes de 46 à 50%.
. Dans le comté voisin de Rutland, en 1380-1381 (liste de contribuables), 63% des hommes sont mariés, mais seulement 55% des femmes
. À Coventry, en 1523, au-delà de l’âge de 15 ans, 43 % des femmes sont célibataires.

Pour l’Église, le seul cadre légal dans lequel la sexualité est tolérée (et avec pour seul but de procréer, position que est encore la sienne en 2009) est le mariage. Pourtant, là aussi se relève un écart important entre la norme et la pratique sociale. La sexualité extra-conjugale et l’adultère sont extrêmement développés comme le prouvent toutes sortes de sources : listes d’excommuniés, registres des officialités (qui sont les tribunaux épiscopaux dans chaque diocèse, compétents sur ce sujet), lettres de rémission, sources narratives… Outre l’essor de la prostitution (étudiée par Jacques Rossiaud, La prostitution médiévale, Paris, 1990, pour celles et ceux que cela intéresse), on a pu dire du XVe siècle qu’il était « le siècle des bâtards » tant sont nombreux les enfants naturels, notamment dans l’aristocratie (il suffit de regarder les chefs de guerre dans l’entourage de Jeanne d’Arc ou les chefs des Écorcheurs), jusque dans les familles princières (le « bon roi » René d’Anjou, duc d’Anjou et comte de Provence, a eu une fille naturelle, Blanche) ou royale (la célèbre Agnès Sorel, maîtresse « officielle » de Charles VII).




* Fécondité et natalité
La natalité a sans doute été plus irrégulière au temps des crises, mais il est évident qu’elle est restée élevée comme le montrent diverses sources (« livres de famille », registres de baptêmes…). Cependant, il semblerait que la condition socio-économique ait eu une influence sur la fécondité : elle est élevée dans les milieux aisés, mais par une attitude qui s’apparent à une sorte de malthusianisme, la pauvreté contribue à faire baisser la fécondité – par différents modes de limitation des naissances (contraception, connue et pratiquée sous différentes formes depuis l’Antiquité, abstinence sexuelle…).
Pourtant, la surmortalité infantile entraîne dans tous les milieux sociaux une baisse du nombre d’enfants vivants par famille :
. En Lyonnais, d’après les testaments, sur la période 1300-1500, le nombre moyen d’enfants vivants (mentionnés comme héritiers) est de 2,4 par famille ; mais il chute de 3,9 entre 1300-1340 à 1,39 entre 1340-1410.
. En Angleterre, les chevaliers qui tiennent un fief doivent déclarer le nombre de fils majeurs (ce qui exclut des chiffres à suivre les mineurs et les filles) : de 1,4 en moyenne en 1316-1330, le nombre est passé à 0,8 en 1420-1440.



Conclusion
Dans le cadre du cours sur « Les royaumes de France et d’Angleterre (fin XIIIe-fin XVe siècle). États et sociétés », l’objectif de ce chapitre sur la démographie est double : contribuer – au même titre que l’étude des étapes de la guerre de Cent Ans - à la présentation générale du contexte, et envisager les répercussions de la crise démographique sur les relations entre États et sociétés et, plus généralement sur la genèse des États modernes.
La crise démographique donne aux pouvoirs publics de nouveaux domaines d’intervention ou les invitent à renforcer leurs actions dans des domaines où ils sont déjà présents : la question sanitaire, l’hygiène publique, l’assistance (pour des motifs qui relèvent autant de la charité chrétienne que du souci de l’ordre public), l’économie ou la fixation des salaires… Dans le même temps, la crise oblige les États à davantage d’efficacité administrative, car moins d’habitants, c’est naturellement moins de contribuables – souvent appauvris – au moment où naît la fiscalité d’État qui est au cœur du processus de renforcement des structures étatiques. Elle les contraint également à faire preuve d’inventivité pour remédier au déficit du nombre des hommes, par exemple dans le domaine militaire où moins d’habitants, c’est aussi moins de combattants.
Il ne faut pas pour autant conclure - avec un certain cynisme - que de cette crise brutale sont sorties des conséquences seulement positives ou novatrices, même si la période témoigne de l’inventivité et du dynamisme de la société dans son ensemble. La crise a évidemment entravé ou nui à nombre de volontés ou de projets. Là est la problématique centrale, entre un contexte défavorable et la manière de le dépasser. Une question d’une troublante actualité…
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