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"La généreuse vengeance" de Camus

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"La généreuse vengeance" de Camus Empty "La généreuse vengeance" de Camus

Message  Agnes Sam 28 Nov - 17:14

« La généreuse vengeance », Jean-Pierre Camus, extrait de L'Amphithéâtre sanglant


Introduction

Historiographiquement nous l'avons vu, une part importante de la criminalité est traitée en marge de la justice, mais aussi de l'infrajustice, parfois trop complexe à organiser de part la nécessité de trouver un consensus social et un tiers médiateur. Cette justice privée ou « parajustice » (selon le terme employé par Benoît Garnot) se caractérise par l'absence d'intervention extérieure, de publicité ou officialité. La vengeance en est une des formes, la plus contestée sans doute car condamnable par la justice royale.

Jean-Pierre Camus (1584-1652), s'est d'abord illustré dans une carrière juridique en tant qu'avocat au Parlement de Paris avant de se tourner vers la théologie, puisqu'il est ordonné prêtre, puis évêque de Belley (dans l'Ain) en 1609. Ami et fils spirituel de saint François de Sales, il devient dès lors un prédicateur renommé, dont les pratiques oratoires se complètent par de nombreuses publications d'homélies, de panégyriques ou de sermons.
Au final son oeuvre, une des plus abondantes de son époque, comporte plus de 200 volumes. Composée en partie d' ouvrages théologiques, notamment sur des points de controverses avec les protestants, ou encore des romans pieux. A cette oeuvre religieuse s'ajoutent de nombreuses histoires tragiques, aussi bien sous la forme de romans que de recueils de nouvelles.
Tirant profit de l'engouement de ses contemporains pour le genre des « nouvelles tragiques » abondamment traduites de l'espagnol et de l'italien depuis la fin du XVIe siècle, ces ouvrages constituent tout le paradoxe de l'oeuvre d'un ecclésiastique comme Camus puisque dans ces histoires se côtoient allusions aux vices, souffrances corporelles et effusions de sang.

L'Amphithéâtre sanglant est un bon exemple de ce genre de littérature. Il s'agit d'un recueil de nouvelles retranscrivant des faits divers présentés comme « réels », malgré l'absence générale de sources. Cet ouvrage s'inscrit donc bien dans ce registre, d'autant plus qu'il fut publié en 1630, donc en pleine Guerre de Trente Ans (1618-1648), les périodes de guerre étant par définition de bonnes sources d'inspiration pour les auteurs de récits tragiques.
Ce texte est une nouvelle issue du livre II de ce recueil. Il fait état ici, non pas d'un mais de plusieurs actes de vengeance perpétrés par des paysans suite à des exactions commises par des soldats dans leur village. Les faits sont antérieurs et Camus n'en est absolument pas contemporain puisque d'après le texte, nous pouvons situer les faits en 1584.Cependant, il existe une autre source de ce récit dans le Journal du règne d'Henri III de Pierre de l'Estoile (1546-1611). Ce livre étant présenté comme des « Mémoires pour servir à l'Histoire de France », et Pierre de l'Estoile étant, lui, contemporain des faits, nous pouvons donc penser qu'il s'agit d'un fait authentique. Jean-Pierre Camus ne fait ici que reprendre cet événement, mais cette fois en y apportant de très nombreux détails.
La particularité principale de ce texte réside dans son titre, « la généreuse vengeance ». En effet, « généreuse » est ici à entendre au sens de brave, magnanime, faisant preuve d'une grande noblesse de sentiments. L'expression peut donc sembler antithétique

La question de cette « générosité » est donc au coeur du texte et nous amène à la problématique:
comment Camus définit-il à travers ce texte le concept de « vengeance »?
Nous étudierons dans un premier temps comment se déclenche un tel déchaînement de violence ; puis nous verrons de quelle manière Camus oriente le texte afin de pouvoir défendre ces actes et quelles justifications trouve-t-il à la vengeance

Développement

I) Description d'un engrenage

Il convient tout d'abord de voir, pour mieux comprendre les mécanismes de la vengeance, de quelle manière se sont déclenchés les faits, avec en premier lieu le contexte.

1)Un contexte de violence

Il s'agit d'une histoire qui se produit dans un contexte général de violence.
Voir l. 1-2: « l'effet des mines donne à connaître que le feu mis à la poudre qui n'a point d'air cause des bouleversements étranges »: dans cette phrase, l'expression « la poudre qui n'a point d'air » peut laisser entendre qu'il y a déjà à l'origine une pression, un ressentiment important des paysans envers les soldats
Concernant le contexte historique: il convient tout d'abord de mentionner que dans la source de Pierre de l'Estoile, ces évènements ont lieu en juillet 1581.
OR ici, le texte indique l.7: « au retour de ce voyage que Monsieur le duc d'Alençon fit en Flandre »
= nous pouvons donc situer l'histoire en 1584. En effet, le duc François d'Alençon, couronné roi des Provinces Unies en 1580, a été déchu suite au siège d'Anvers qu'il a mené en 1583, et qui a conduit à un important massacre de son armée. Ce sont donc des troupes françaises vaincues qui sont en train de revenir en France

De plus, le texte indique l.12 que l'action se déroule en Picardie ; nous sommes donc à la frontière du royaume de France et qui plus est, dans une région qui est, dans une époque de conflits religieux, sujette à de nombreux affrontements entre catholiques de la Ligue et protestants venus de l'empire. Les mouvements de troupes sont donc fréquents, et d'une manière générale, ils sont souvent redoutés par les paysans, qu'il s'agisse des troupes royales ou de troupes ennemies:
l.10 « il semblait que non la Flandre mais la France fût leur pays de conquête »:
En effet, ils étaient l'occasion de nombreuses exactions, donc des abus de pouvoir en vue d'obtenir aussi bien de la nourriture, du vin ou encore de l'argent ; actes qui rentraient finalement dans une sorte de processus de « possession » des terres par les soldats.
voir l.15-16: « rançonnements, aux exactions d'argent, ni au violement des femmes et des filles »

C'est d'ailleurs un de ces actes de violence qui est à l'origine de toute cette histoire de vengeance, en l'occurrence le viol du personnage de Marie.

2)Un élément déclencheur
Dans tout ce contexte de violence, le viol de la jeune fille constitue a priori un événement secondaire. D'ailleurs, il y en a eu d'autres, mentionnés l.15-16
Le viol dans le cas précis des passages de troupes était semble-t-il (au regard des repères actuels) relativement toléré puisque souvent tu par les familles car on considérait que la jeune fille y perdait son honneur.
La question de l'honneur du personnage de Marie est d'ailleurs mentionné dans le texte l.31.
OR, dans ce cas précis, le crime engendre la réaction contraire, puisque non seulement il n'est pas passé sous silence, mais en plus il devient l'élément déclencheur du premier épisode de vengeance à savoir: le meurtre du capitaine.

Les motivations de cet acte ne sont pas évidentes. L'auteur ici ne mentionne pas d'émotion particulière attachée à ce désir de vengeance (colère, rancune, tristesse ou autre).
Cependant, comme on peut le voir l.38: « la généreuse fille, qui ne voulait pas survivre à la perte de son honneur » => on peut donc penser qu'il s'agit d'un acte de désespoir. Mais ce passage montre aussi qu'il s'agit d'un acte délibéré, voir même réfléchi
cf l. 39-40 : elle « épia », elle avait « un grand couteau qu'elle tenait prêt à cet office »

Les représailles des soldats pour cet acte sont alors immédiates et violentes comme on peut le voir l.42. On peut de nouveau faire une comparaison avec le texte de Pierre de l'Estoile, où la jeune fille est « simplement » tuée à l'arquebuse, alors que dans le texte de Camus, elle est véritablement mise en pièces
=> mise en avant de la violence de la scène

Ce sont donc ces événements qui vont entraîner le 2e épisode de vengeance des paysans sur les soldats

3)Une escalade de violence

Ce 2e épisode de vengeance est assez différent du 1e puisqu'il met en avant le régime collectif de la vengeance comme on peut le voir l.46, 49
ou même l.3: « quand ils sont émus et unis, ils font des massacres étranges »: ce qui sous-entend même que s'il n'y avait pas eu un tel rassemblement, ils n'auraient probablement pas agi.
D'ailleurs, l'auteur insiste sur le fait que le personnage d'Albain semble avoir une certaine importance dans le village (l.44). C'est donc bien parce qu'il a su émouvoir et rassembler tout le village que les paysans ont une telle réaction.

Il y a à ce moment là une véritable hécatombe, qui peut être divisée en deux temps:
d'abord le soir même: l.47 « une bonne partie fut égorgée sur le champ »: suppose donc une grande part d'impulsivité dans les gestes
dans un second temps, le lendemain: les modalités changent puisque les paysans s'assemblent pour décider de ce qu'il faut faire comme on peut le voir l.49. Il n'y a donc plus d'impulsivité, la vengeance est ici réfléchie.
Les meurtres se succèdent non sans une certaine ironie de la part de l'auteur puisqu'ils sont énumérés avec un certain naturel, comparé au caractère pathétique qui entoure la mort de la jeune fille.
On y retrouve des supplices pratiqués par la justice lors des condamnations à mort comme par exemple la pendaison (l.56), la roue (l.56 « l'autre rompu »), le bûcher (l.56 « l'autre brûlé »), l'écorchement (l.56) ou l'écartèlement (l.56), des supplices inspirées des coutumes militaires comme l'arquebuse (l.56) mais aussi d'autres supplices plus originaux comme comme la noyade ou le fait d'être enterré vivant.
La violence des paysans franchit même un nouveau stade comme on peut le voir
l. 54-55: « et ceux qui eurent plus de faveur ce furent ceux qui ne moururent que d'un supplice »: ce qui suppose donc qu'il y a même eu torture sur ces soldats

Le récit de Camus est donc assez circonstancié, la profusion de détails sanglants concernant les atrocités commises étant finalement conforme à l'esthétique des histoires tragiques.

Cependant, nous allons voir que la description de ces faits n'est pas anodine ; elle est très orientée de la part de l'auteur.

II) Une mise en scène de Camus

1)Des soldats d'une extrême brutalité

Camus insiste longuement sur le cas de ces soldats ; il ironise d'abord et va jusqu'à les tourner en ridicule, à travers leurs faits d'armes comme par exemple l.8-9-10 « ses troupes faisant leur retraite à la débandade [...]se répandirent dans la Champagne et la Picardie avec si peu de discipline »,
Le ton de Camus se durcit cependant en évoquant les abus exercés par l'armée aux lignes14 à 16, en l'occurrence de nombreux pillages ainsi que des violence.
Ces considérations sont générales, valables pour tous les soldats et permettent ainsi de rabaisser cette armée et de montrer l'illégitimité des soldats à exercer une quelconque autorité sur les villageois.

Cependant, Camus s'attarde plus particulièrement sur le personnage du Capitaine, le Pont:
l.13 « le capitaine n'avait garde de les en punir, étant le premier à leur donner mauvais exemple »: le capitaine est donc le principal fautif, ce qui souligne là aussi toute son irresponsabilité en tant que militaire.
Il est lui aussi tourné en ridicule, traité de « misérable » (l. 35) ou encore de « sac à vin » l.39-40 .

Il le présente alors comme un homme de tous les excès:
d'abord dans ses actes: l.21 « le Pont était un brutal »
dans leurs paroles: il se moque (l.36 « il se mit à gausser cette fille ») + l.22 « le blasphème dont il assaisonnait ses propos »
dans sa manière d'être elle même: l.22-23 « il était adonné à toutes sortes de vices, à la déshonnêteté (comprendre au sens de « impudeur »), au sang, au carnage, au brigandage (ce qui le rabaisse une nouvelle fois en le présentant comme criminel), au jeu, à l'ivrognerie »
De tous points de vue, le capitaine est donc présenté comme un homme pécheur. Mais l'auteur ne s'arrête pas à l'énumération de ses défauts puisqu'il va même jusqu'à le comparer à des animaux (l.19 « les tigres » ou encore l.34 « aboyaient après cette proie »), voire même à des monstres (l.18 « cette sorte de démons », l.41 « l'âme maudite », l.28 « qu'il avait d'impureté dans l'âme »).
Il est donc privé de toute humanité, d'ailleurs on peut le voir l. 32 « par une inhumanité plus que barbare ».
Du point de vue de l'ecclésiastique qu'est Jean-Pierre Camus, ces soldats et en particulier le capitaine accumulent donc tous les péchés et les désignent par là même, comme les seuls et uniques coupables dans toute cette histoire.

La personnalité des soldats est d'autant plus mauvaise ici qu'elle est opposée à la figure de Marie, la victime.

2)Insistance sur l'innocence de la victime

Elle est décrite à travers de nombreuses vertus: elle est « honnête »l.27 (cad pudique), elle est « généreuse » (donc courageuse)
Ici, pour appuyer ces vertus, l'accent est mis sur la résistance de la victime: l. 27 à 30, elle rejette de nombreuses fois ses avances avec force, à tel point que le capitaine doit aller jusqu'à faire usage de force et va même jusqu'à la ligoter comme on le voit à la ligne 29.
MAIS l.39: « encore que celle-là puisse être appelée honnête qui a été forcée »: Camus ne considère donc même pas qu'elle ait perdu son honneur, et met d'ailleurs en avant le fait qu'elle ait rejeté les avances (l.27 à 30)
L'innocence de Marie est même valable pour son geste de vengeance envers le capitaine. Tout d'abord, aucun élément dans le texte ne mentionne le fait qu'elle soit motivée par une quelconque colère envers lui, et donc par le péché.
De plus la ligne 38 « la généreuse fille, qui ne voulait pas survivre à la perte de son honneur »:
cette phrase peut laisser penser que la jeune fille, par le désespoir dans lequel elle se trouve, va tenter de se suicider. Pourtant elle ne le tente même pas, ce qui aurait été perçu comme criminel (car allant contre la volonté de Dieu).
Le personnage de Marie est donc décrit comme innocent de tous points de vue

Ces vertus se retrouvent aussi dans l'entourage, qui joue ici un rôle important.

3)Le rôle de l'entourage

Tout d'abord le personnage d'Albain: il est le père de la victime, mais aussi et surtout l'hôte chargé d'accueillir le capitaine comme on peut le voir l.17.
Il faut savoir que la question de l'hébergement des soldats était quelque chose d'assez redouté par les paysans: héberger un soldat, notamment un haut gradé comme ici, sous entendait généralement qu'il y allait y avoir des violences, physiques ou verbales. Albain étant décrit comme « riche laboureur » (l.17) on peut donc supposer que c'est pour cela qu'il est désigné comme hôte, puisqu'il peut être susceptible de fournir au soldat tout ce dont il a besoin pour calmer toutes ses ardeurs.
Sa générosité (cette fois au sens contemporain du terme) est mise en valeur dans le texte En effet,
en tant qu' hôte, il lui fournit tout ce qu'il réclame comme on peut le voir l.18 « qui tâcha de lui faire la meilleure chère dont il se put aviser » ou encore l.24.
Le contraste est donc une nouvelle fois saisissant entre le dévouement d'Albain et la brutalité des soldats.
Il faut aussi rappeler que c'est un homme qui assiste au viol de sa fille, avec une impossibilité de réagir, comme on le voit l.31-32 (« sur le visage de ses parents »: cad devant eux ). Or , notamment dans les campagnes, les viols en cas de passages de troupes étaient tus.
Ici, ce n'est absolument pas le cas puisque le père s'enfuit et fait ébruiter l'affaire dans tout le village, ce qui peut donc être perçu comme un acte de courage de sa part.

Les villageois de leur côté: nous pouvons comparer avec le texte de Pierre l'Estoile. Dans ce texte en effet, il est indiqué que les paysans se révoltent après avoir été rassemblés par des gentilshommes locaux. Or dans le texte de Camus, les paysans se révoltent seuls, motivés par aucune autorité supérieure comme on peut le lire l.45-46 « les paysans, armés de ce qu'ils rencontrèrent, allèrent en foule ». L'accent est donc mis ici sur le courage de ces paysans.
En effet, il faut imaginer qu'il s'agit d'un petit village, qui pourtant va s'attaquer à une centaine d'hommes (chiffre indiqué l.11), hommes qui ont des armes, qui ont l'habitude de les manier, et qui ont aussi l'habitude d'aller au combat, au risque d'y mourir.
=> encore une fois, le courage des paysans est appuyé par Camus, ce qui permet de mettre en avant le caractère exceptionnel de cette histoire.
Caractère exceptionnel qui est mis en avant par de nombreuses exclamations de la part de l'auteur:
l. 2 « des bouleversements étranges » (comprendre « extraodinaire ») ou encore l. 52 « c'était une merveille » (là aussi, comprendre « extraordinaire »)

Dans ce texte, Camus soutient donc le principe de vengeance et oriente le lecteur en ce sens. Il s'agit donc de voir à présent quelles justifications trouve-t-il à la vengeance.

III) Fonctions de la vengeance au sein de la société

1)La vengeance, une forme de justice à part entière

Pour lui, même si la vengeance relève d'une procédure purement privée, elle reste avant tout un moyen de se faire justice: parenthèse à ce sujet: il convient de rappeler que cette signification se retrouve aussi dans l'étymologie car venant du latin « vindicare » « réclamer en justice ».

Les soldats concernés n'ont que ce qu'ils méritent, les crimes commis étant punis avec la même violence: voir l.57-58: « il n'y a sorte de cruauté que ces paysans n'exerçassent sur ceux qui, le jour précédent, leur tenaient le pied à la gorge, et avaient exercé sur eux et sur leurs femmes toute sorte d'outrages et de vilenies »
= on peut y voir une référence à la loi du Talion, loi utilisée dans le royaume de Babylone vers 1730 avant JC, prônant la juste réciprocité du crime et de la peine: pour Camus, en vertu de ce principe, la vengeance ne peut pas être totalement injuste
+ l'ancienneté de cette loi permet par la même occasion pour Camus de souligner l'intemporalité du principe de vengeance

La vengeance est perçue ici comme un mode de résolution de conflit à part entière, au même titre que les arrangements privés car ayant le même but, à savoir rétablir l'équilibre et la paix au sein d'une communauté.
« d'où procéda le bannissement des Tarquins » (l. 67-68): montre nécessité de chasser d'une communauté les éléments « perturbateurs », quels qu'en soient les moyens, afin de retrouver la paix.
Pour Camus, la vengeance est avant tout une sorte de régulateur social en cas de transgression, comme dans le cas décrit dans le texte.

2) Une portée dissuasive

La vengeance et ses mécanismes évoqués dans ce texte vont complètement à l'encontre des principes chrétiens. En effet, elle est discréditée par l'Eglise, celle-ci se référant en l'occurrence à une parole de Jésus extraite de l'Evangile de Saint Matthieu, 5, 38-4 : « et moi je vous dis de ne pas résister au méchant. Au contraire, si quelqu'un te gifle sur la joue droite, tends lui aussi l'autre. »

Le point de vue de Camus paraît donc antithétique, d'autant plus qu'il est ecclésiastique.
Il nuance ces propos par de nouvelles références bibliques. D'abord dans l'Ancien Testament avec les extraits du livre d'Isaïe ou encore du livre des Psaumes comme on le voit aux lignes 61 ou encore 63. Mais aussi, il fait référence l.62 à un extrait de ce même évangile de saint Matthieu cité plus haut, permettant ainsi de nuancer les jugements de l'Eglise, et d'appuyer son propos concernant cette histoire.
Ces références servent en effet l'intérêt de Camus, celui-ci voulant, d'une manière générale dans ses « nouvelles tragiques », montrer par l'excès sanglant les vices des hommes, et ce pour mieux les combattre. Dans le cas de ce texte en l'occurrence, il s'agit de montrer de quelles manières sont punis les soldats pour avoir eu un comportement aussi mauvais.

Cette fonction dissuasive est d'autant plus forte que Camus va très loin en ce sens:
Ici pour lui, en vertu de toutes les références qu'il a citées, la vengeance est l'oeuvre de Dieu:
l.60 « juste jugement du ciel sur l'insolence de ces soldats ». Pour lui la vengeance est donc certes une démonstration de la justice privée des hommes, mais aussi et surtout une démonstration du jugement de Dieu.

Conclusion

Nous pouvons noter l'importance de ce récit de fait divers. Bien qu'il ne soit pas d'une grande fiabilité au niveau des détails qui sont pour la plupart romancés, il reste tout de même l'une des rares sources relatant cette forme de justice privée, exercée dans le strict cadre de la communauté villageoise, sans témoin extérieur, sans officialité ni publicité donc par définition n'ayant laissé que peu de traces dans les archives

Concernant le propos en lui-même, nous l'avons vu, ce texte de Camus va donc totalement à l'encontre des principes judiciaires et religieux de son époque, en associant le terme de « généreuse » à l'idée de vengeance.
Camus se pose en juge de cette histoire, n'hésitant pas à formuler clairement son opinion et à appuyer ses propos par de nombreux effets de style. Cependant, le fait qu'il insiste à ce point montre aussi que pour de pareils faits, l'innocence ou la culpabilité des protagonistes n'étaient pas forcément des évidences pour le lecteur du XVIIe siècle.
Il illustre ainsi le paradoxe que constitue la vengeance dans la société de l'Ancien Régime. En tant que forme de justice privée, pouvant même aller jusqu'à l'homicide, elle était en effet fortement condamnée par la justice royale. Dans le même temps, elle reste un phénomène qui, même si on en ignore la régularité, semble exister de manière continue à toutes les époques et dans toute les couches de la société.

Agnes

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Message  Agnes Sam 28 Nov - 17:16

Les gravures de Jacques Callot que j'ai projetées sont visibles ici:

http://www.wittert.ulg.ac.be/fr/flori/opera/callot/callot_miseres.html

Agnes

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Message  arnaud Dim 29 Nov - 19:57

Gurvil avait l'air de très bien connaître les gravures; je pense même qu'il en est fan
arnaud
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Message  Agnes Lun 30 Nov - 18:36

Bah en même temps y a des bagarres, des meurtres, du sang...çà a tout pour lui plaire Laughing

Agnes

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