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justice retenue procedure d'évocation

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Message  Anne-éli Lun 28 Sep - 18:12

Justice retenue, la procédure d’évocation
3 juin 1738



Introduction

Le règne de Louis XIV a vu un souverain très investi dans l’administration de son royaume. Il avait la volonté de renforcer le pouvoir royal jusque dans les circonscriptions les plus petites. En effet, les réformes d’harmonisation administratives et législatives commandées par le roi et inspirées par Colbert font ressortir le besoin d’écrire le Droit. Cela marque également les disparités entre les régions de droit romain et les régions de droit coutumier. Dans sa continuité la première partie du règne de Louis XV voit la prolongation de cette démarche à laquelle le Chancelier et Garde des Sceaux d’Aguesseau a participé avec passion.
Ainsi ce document est un extrait des Œuvres de M. le Chancelier d’Aguesseau, tome IX consacré aux affaires en matières criminelles et sur les matières civiles publiées en 1776. Cet extrait de lettre fait partie des échanges entre d’un coté le chancelier d’Aguesseau et son collaborateur le procureur général de Paris, Joly de Fleury et de l’autre les parlementaires interrogés après enquêtes sur tous les points de l’ébauche de l’ordonnance. Le document est donc l’une des pièces qui vont servir à l’élaboration d’une loi fondamentale qui sera enregistrée le 28 juin 1783 portant sur le « Règlement concernant la procédure au Conseil du Roi », et fixant donc les règles de recours devant la juridiction suprême - autrement dit sur la procédure d’évocation.
Henri François d’Aguesseau (1668-1751) était appelé l’Aigle du Parlement pour ses qualités d’orateur et son érudition juridique, mais il fut moins à l’aise en politique où il subit les évènements plus qu’il n’influa sur eux. Il a une formation de juriste, fut avocat au Parquet du Châtelet puis avocat au Parlement de Paris et enfin Chancelier en 1717 sous la Régence de Philippe d’Orléans. C’est un magistrat intègre, un juriste éminent et c’est à ce titre qui est rappelé à la chancellerie par le Cardinal de Fleury pour poursuivre l’œuvre de codification du droit engagée sous Louis XIV.
Entre 1731 et 1747, il fit adopter à Louis XV d’importantes ordonnances sur les donations, les testaments et les faux. Les réformes D’Aguesseau améliorèrent également les procédures judicaires et tendirent à unifier l’application des lois. Il est connu par ailleurs pour avoir manqué de fermeté envers les parlements ce qui a pu encourager une tendance à la rébellion contre le pouvoir royal.
Cet extrait de lettre nous montre les difficultés que le pouvoir royal représenté par le Chancelier a à unifier les procédures tout en tenant compte des particularismes locaux dont les parlementaires se font les défenseurs. A plus d’un titre, ces derniers n’ont pas intérêt à ce que cette procédure d’évocation leur ôte leur prérogative de justice souveraine. Malgré la vénalité des charges et l’extraction nobiliaire des membres des parlements, ces derniers se perçoivent en effet comme une représentation nationale, et n’entendent plus d’être muselés comme après l’édit de 1673 leur ôtant leur droit de remontrance, droit restitué par Philippe d’Orléans, alors régent, en 1715.
Il est donc légitime de voir dans cette procédure d’évocation le sensible point de bascule entre les forces en présence. Selon que le pouvoir soit fort et absolu avec une opposition muselée comme sous Louis XIV, la question ne se pose pas, mais alors qu’une Régence a rendu aux parlements ses attributions et que le pouvoir royal est moins fort, cette procédure prend tout de suite une allure d’arme de l’absolutisme. Ce texte pose donc la problématique suivante, dans quelle mesure l’usage naturel de la justice du roi peut être une marque de l’absolutisme ?

Nous verrons donc pour y répondre :

I- La justice retenue du roi : roi source de justice dans le contexte du règne de Louis XV
A- La justice retenue
B- la procédure d’évocation

II- Uniformisation de la législation et La réticence face a la procédure d’évocation

A- Uniformisation des cultures de la Justice
B- les particularismes locaux




Développement

I- La justice retenue du roi : roi source de justice dans le contexte du règne de Louis XV (l.8 à 16)

La première partie du règne de Louis XV se caractérise par un infléchissement du pouvoir royal. En effet, la Régence a encore le souvenir de la Fronde, souhaite que le jeune roi soit près du peuple parisien et rend le droit de remontrance aux parlements. Cela a un effet bénéfique sur le roi qui est pris en affection par le peuple parisien et les parlementaires retrouvent leur prérogative. L’étau absolutiste est desserré mais la monarchie est encore forte. Elle s’exprime toujours même si Louis XV n’est pas aussi investi dans son gouvernement que le fut Louis XIV, par l’expression de la Justice car le roi est source de toute Justice et ses sujets utilisent leur droit de faire appel à sa justice dite retenue.

A- La justice retenue

Le principe de la justice retenue est simple cependant accéder au roi pour lui demander l’étude d’une affaire est beaucoup plus complexe. Il existe plusieurs procédure pour faire appel à cette justice : les placets qui doivent être remis au roi ou à son Conseil, les lettres royaux (lettres de cachet) qui permettent de dénouer une situation insolvable ou de surseoir à une procédure pour le bien « des familles » ou la sûreté de l’Etat. Pour les requêtes par placets, elles sont remises au Conseil du roi pour être étudiées - seules les affaires les plus sérieuses sont traitées.

D’Aguesseau fait un rappel à la règle dans les lignes 9 à 11 « le roi ne peut jamais renoncer au droit qu’il a comme juge universel et comme source de toute justice de retenir à sa personne la connaissance des matières qui lui paraissent assez importantes pour mériter qu’il y prononce lui-même. »

Pour les autres cas, il existe la procédure d’évocation.

B- la procédure d’évocation

La procédure d’évocation est utilisée dans divers cas de figure pour soustraire à la justice des cours souveraines les dossiers les plus sensibles. On évoque quand on est face à des magistrats qui seraient juges et partie (famille) ou que pour des raisons religieuses l’on souhaite être juger dans une autre juridiction. On transfert alors l’affaire à un autre parlement ou directement au Conseil du roi.
La procédure doit intervenir avant l’instruction ou pendant l’instruction, ainsi la cour suprême de justice qui n’est pourtant pas de cassation mais qui en revêt les atours. En effet, elle se substitue à la cour souveraine qui traitait l’affaire. C’est sur ce point que le bas blesse pour les Parlements.

Il existe donc plusieurs types de procédures d’évocation : générale et particulière. Celle citée ligne 6 est l’évocation générale.
L’évocation générale relevait des nécessités de la vie politique ou des carences dans la procédure ordinaire et ne jouait que pour une affaire ou un groupe d’affaires ayant un caractère réel. Les évocations générales sur les questions de personnes étaient différentes. Elles étaient perçues comme une faveur du roi au bénéfice de personne physique ou morale privilégiées ou encore une manœuvre politique à l’ encontre des parlements.
Cette procédure a été très utilisée au XVIIIe siècle par les ordres réguliers pour que leurs affaires soient prises en charges par le Grand Conseil, évitant ainsi de passer devant les compétences territoriales.
Cela crée de grandes disparités par rapports aux particuliers et provoquait les critiques de l’opinion publique.


II- Uniformisation de la législation et La réticence face a la procédure d’évocation

A- Uniformisation de la Justice

On appelle cours souveraines les hautes juridictions qui rendaient des décisions de justice en dernier ressort : les parlements. Louis XIV avait fait retirer l’épithète de souveraine et remplacer par supérieure pour rappeler la prééminence de la justice royale. Cependant, ces cours n’ont jamais accepté ce changement de vocabulaire et ont conservé cette dénomination face à leurs administrés.
Les parlements étaient constituées de plusieurs cours : justice, des aides (contentieux fiscaux), cours des monnaies etc. Mais malgré la diversité des charges dévolues aux parlements, d’une région à l’autre les « souverainetés » notamment en terme de justice n’étaient pas les mêmes partout.
Ex : en Artois, le parlement n’était souverain qu’en matière criminelle.

D’Aguesseau exprime cette diversité dans les lignes 12 à 16.

En statuant sur les détails de la procédure d’évocation, d’Aguesseau souhaite tacitement harmoniser les compétences des cours supérieures. Malheureusement certains parlements comme celui de Bourgogne n’entendent pas se voir perdre le prestige du traitement de certaines affaires et donc perdre de l’autorité au niveau local alors que d’autres juridictions chevauchent sur ses prérogatives.

B- les particularismes locaux

Cette procédure était donc ignorée par les provinces reconquises ou nouvellement annexées au royaume comme la Franche-Comté, mais cela constituait alors une obstruction à la justice retenue du roi dont la procédure d’évocation fait partie. Cependant, les Parlements sont très attachés à notion de solidarité entre parlements considérant qu’ils ne forment qu’un seul corps.

La Franche-Comté était en effet de possession espagnole sous la direction du gouverneur des Pays Bas mais elle devient française en 1678 par le traité de Nimègue. De culture et de langue française, la FC vivait en quasi autonomie à cause de son éloignement géographique par rapport à l’autorité espagnole. En revanche, l’annexion française ne se passe pas si bien et les intendants représentants le roi sont haïs. Ainsi l’administration de la FC était disputée entre le Parlement et l’intendant. Les Francs-comtois étaient habitués à jouir de grandes libertés par le biais de leur Parlement, surtout en matière de justice. Ils craignent donc que leurs coutumes en matière de justice se cantonner à faire de la police judicaire. Ils considèrent que l’Etat monarchique sous-estime le rôle de canalisateur social que représentent les juges subalternes.

La Bourgogne possédait aussi, comme tous les parlements, des prérogatives législatives l'autorisant à affirmer une certaine autonomie à l'égard du pouvoir royal. Par ailleurs, Le parlement se disputait des juridictions avec la municipalité et l’intendant. Il perçoit la procédure d’évocation générale comme une occasion de lui faire perdre sa souveraineté, affirmant l’absolutisme et surtout déséquilibrant l’équilibre fragile local.


Conclusion

Les travaux de d’Aguesseau sur la codification du Droit et les aménagements entre la nécessité d’unifier la pratique de la justice dans le royaume et les prérogatives de justice retenue du roi, en tant que source de toute justice, fondent une œuvre législative et juridique qui est considérée comme étant à l’origine de la codification napoléonienne. En effet, les règlements sur la cassation auront toujours court tout le long du XIXe siècle.
Cet extrait est un élément fondamentale sur l’esprit de construction de la culture juridique et législative française.
Si l’on peut concevoir qu’en effet les différents aspects de la justice retenue peuvent paraître à bien des égards arbitraires et à l’usage des privilégiés, elle est également la possibilité dans bien des cas de rendre justice en passant outre les aberrations d’un système complexe et pesant. Elle possède donc les qualités de ses défauts et le fait que les Parlements ont eu l’occasion de participer à l’élaboration de la codification par la médiation du Chancelier d’Aguesseau montre bien que l’absolutisme et l’arbitraire n’étaient pas aussi présents que ce que l’on pourrait croire dans un système qui n’a pas le souci de la séparation des pouvoirs.
Anne-éli
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